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LA MOTHE LE VAYER FRANÇOIS DE (1588-1672)

Philosophe et écrivain français, l'un des représentants majeurs de ce « libertinage érudit » qui marque, entre l'humanisme de la Renaissance et la philosophie du siècle des Lumières, une étape essentielle. À quarante ans, cet indolent n'a écrit aucun livre : il s'est prêté avec quelque répugnance aux devoirs de sa charge de substitut au procureur du roi et s'est surtout « composé un caractère. Le caractère d'abord d'un original [...] ; le caractère, aussi, d'un homme indépendant, réservé, un peu sournois, avec une prudence ombrageuse et volontiers narquoise » (R. Pintard) — sous laquelle il cache des méditations qui deviendront de plus en plus audacieuses. Les nombreux voyages qu'il a entrepris lui ont fait découvrir l'infinie variété des mœurs et des croyances, l'instabilité des opinions et des institutions les plus autorisées ; ils l'ont engagé à de vastes lectures (philosophes sceptiques et relations de voyages) ; les innombrables conversations, franches et hardies, avec ses amis de la Tétrade, ce groupe que forment avec lui Gassendi, Diodati et Naudé, ce grand foyer (secret) du libertinage érudit, le décident à publier le fruit de ses réflexions. Ce sont les quatre premiers Dialogues faits à l'imitation des Anciens d'« Orasius Tubero » qu'il fait imprimer à un nombre réduit d'exemplaires (1630). Dans ces libres entretiens, l'auteur démolit allègrement toutes nos certitudes et toutes nos illusions et propose au sage un refuge dans une « vie couverte et particulière », faite de tranquillité et d'indépendance. L'année suivante, cinq nouveaux Dialogues précisent cette profession de foi sceptique, et surtout l'étendent à des domaines qui jusque-là avaient été prudemment laissés de côté : la métaphysique et la théologie. Mais les précautions et les ambiguïtés sont à la mesure des audaces, et La Mothe Le Vayer prétend élaborer une « sceptique chrétienne » en faisant du scepticisme « une parfaite introduction au christianisme », ce christianisme auquel il a retiré l'appui de la raison.

Et voici que l'écrivain indépendant, le penseur libertin se prête à des compromissions de plus en plus graves : il met sa plume au service de Richelieu et rédige plusieurs opuscules où il soutient la politique étrangère du cardinal, il compose un Petit Discours chrestien de l'immortalité de l'âme (1637) où il prend le contre-pied de plusieurs des idées essentielles exposées dans les Dialogues, il est admis à l'Académie française en dépit de ses Considérations sur l'éloquence française de ce temps (1637), où il s'inquiétait des excès du purisme et prenait à partie Vaugelas ; il pose sa candidature au poste de précepteur du dauphin en dédiant à Richelieu un traité De l'instruction de Mgr le Dauphin (1640), il rédige sur la demande du ministre un livre sur la Vertu des payens (1641) contre le jansénisme. L'orthodoxie derrière laquelle il tentait de préserver une partie de sa pensée véritable cède à nouveau la place, à la mort du cardinal, au scepticisme des Petits Traitez en forme de lettres (1648-1660) qui, sous la prudence de rigueur, dissimulent une vigoureuse critique rationaliste. Mais il a été investi d'importantes fonctions officielles : nommé précepteur du duc d'Anjou avant de devenir historiographe du roi, il rédige de nombreux traités pédagogiques « ad usum Delphini », mais aussi des « parallèles historiques » qui révèlent une habile méthode comparative. Il revient enfin aux gaillardises de sa jeunesse dans son Hexaméron rustique et, plus que jamais, au pyrrhonisme, dans ses Soliloques sceptiques (1670).

La Mothe Le Vayer, ou « les variations d'un sceptique », les détours, les ruses et finalement la défaite d'un libertin, conclut l'historien[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, maître assistant à l'université de Paris-VII

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