DELSARTE FRANÇOIS (1811-1871)
Delsarte était une légende, il est presque devenu un mythe. C'est par le pouvoir expressif du geste que François Delsarte a acquis prestige posthume et longévité philosophique, davantage aux États-Unis qu'en France. Neuf mois d'études avec Delsarte, d'octobre 1869 à juin 1870, auront suffi à l'acteur et dramaturge américain James Steele MacKaye (1842-1894) pour devenir l'élève, l'assistant puis le disciple du chanteur, professeur et théoricien français, qui le considéra aussitôt comme son fils spirituel. De retour aux États-Unis, MacKaye donne en 1871 des conférences au Steinway Hall, à New York. Avec le révérend W. R. Alger et le professeur L. B. Monroe, directeur du Boston College of Oratory, il veut fonder une école de l'art dont Delsarte serait l'âme. Mais sa mort précoce — survenue à Paris, le 20 juillet 1871 — invalide à jamais leur projet.
Le vif intérêt que les Américains portent aux techniques de la parole confère aux enseignements de Delsarte un lustre inattendu, voire insolite. Les professionnels de l'élocution y voient le moyen d'obtenir une parfaite adéquation entre le message à transmettre et l'attitude physique correspondante. Les idées de Delsarte trouveront aussi un écho surprenant dans le mouvement de Dress Reform, qui luttera pour que les femmes soient affranchies de lourdes toilettes, funestes pour le corps qu'elles confinent, et pour l'être dont elles entravent l'expression naturelle. Une actrice de San Francisco, Geneviève Stebbins, venue travailler à New York avec MacKaye, devint disciple de Delsarte. Elle conçut, avec Mary S. Thompson, des spectacles où étaient présentés des « tableaux vivants » (Statue Posing), puis des enchaînements de mouvements (« tableaux mouvants ») qui firent forte impression sur la jeune Ruth Saint-Denis, future partenaire et épouse de Ted Shawn. Tous deux sont un jalon capital dans l'histoire de la danse moderne américaine. De leur école, la Denishawn School, sortiront Martha Graham, Doris Humphrey et Charles Weidmann. Ultérieurement, le nom de Delsarte apparaît à l'arrière-plan de tout ce qui, au xxe siècle, bouge et s'exprime. On le découvre dans le sillage d'Isadora Duncan, de Stanislavski, de Laban, voire de l'Actor's Studio.
Mais, avant ce destin posthume, Delsarte avait eu une biographie. Il naît à Solesmes (Nord) le 19 novembre 1811. Avant son entrée, en 1826, sous Cherubini, à l'École royale de musique et de déclamation, il a eu une enfance erratique, marquée par une solitude parisienne qu'adoucit la rencontre du père Bambini, prêtre et musicien de goût. C'est par lui que François, qui avait une voix de ténor prometteuse et des dons dramatiques, connut la musique de Gluck. Sa voix subit une altération irréparable qu'il imputera aux aberrations de la pédagogie officielle. Il quitte l'École royale le 1er janvier 1830 et est engagé à l'Opéra-Comique le 1er mars 1830. Au terme d'un intense travail de dix-huit mois, il se redonne une voix dont le placement recoupe une technique italienne qui fera la gloire du ténor Gilbert Duprez sur la scène de l'Opéra : la voix sombrée. Mais Delsarte va surtout se consacrer à l'enseignement.
Delsarte fut toujours partagé entre les devoirs de l'artiste en tant que personnage public et l'attraction irrésistible de ses recherches, qui le retranchaient du monde. Possédé par la conviction qu'il existait des lois fondamentales régissant toute forme, toute manifestation, il s'est attaché à mettre en corrélation un geste et sa signification. Sa vision reposait sur une trinité dont les trois pôles en l'homme physique étaient la vie, l'âme et l'esprit. Appliquée au corps, cette trinité attribuait aux membres l'expression de la vie, au torse, celle de l'âme, et à la tête, celle de l'esprit. À partir de[...]
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Écrit par
- Alain PORTE : écrivain
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