FEJTÖ FRANÇOIS (1909-2008)
La disparition, le 2 juin 2008, à Paris, de François (Ferenc) Fejtö tourne pour les spécialistes de l'Europe centrale et orientale une page d'histoire. Né, près d'un siècle plus tôt, le 31 août 1909, à Nagykanizsa (sud-est de la Hongrie), cet intellectuel, à la fois écrivain, journaliste, professeur, historien, philosophe laissera le souvenir d'un homme affable et joyeux, d'une curiosité insatiable et d'une érudition étonnante.
Né dans une famille aisée de libraires et d'imprimeurs, de confession juive convertie au catholicisme, il suit des études littéraires aux universités de Pécs et de Budapest dans un Empire austro-hongrois au bord de l'éclatement. À vingt-cinq ans, il adhère au Parti social-démocrate et fonde, en 1935, avec son ami le grand poète hongrois Attila Jozsef et le publiciste Paul Ignotus, une revue littéraire antifasciste intitulé Szép Szo (Argument) tout en collaborant au journal socialiste de l'époque, Népszava. Dans une Hongrie pro-nazie dirigée par le maréchal Horthy, ses écrits engagés lui vaudront à deux reprises d'être emprisonné. En 1938, il quitte son pays natal pour la France où il résidera jusqu'à la fin de ses jours.
Après avoir participé à la Résistance, dans le Lot, il obtient le statut de réfugié politique en 1949, année au cours de laquelle il démissionne de la direction du bureau de presse et de documentation de l'ambassade de Hongrie à Paris, où il avait été nommé en 1945 ; il entend ainsi protester contre l'arrestation de Laszló Rajk, membre dirigeant du Parti communiste hongrois, victime en 1949 des purges staliniennes. Naturalisé français en 1955, François Fejtö entame une carrière consacrée à l'étude des régimes communistes est-européens. Son observation s'élargira au mouvement communiste international, plus particulièrement aux cas de la France et de l'Italie où il effectuera nombre de séjours.
Entré à l'agence France-Presse en 1944 où il couvre trente années durant, en tant que rédacteur en chef adjoint, la période de la guerre froide en Europe de l'Est, il commence, en 1972, à enseigner à l'Institut d'études politiques de Paris où il fait, jusqu'en 1984, l'admiration de plusieurs générations d'étudiants.
Son livre phare, Histoire des démocraties populaires (en deux tomes, L'Ère de Staline, 1952, et Après Staline, 1969) paru aux éditions du Seuil, traduit en près de vingt langues, reste l'ouvrage de référence pour qui veut comprendre les évolutions par-delà le rideau de fer. En 1992, La Fin des démocraties populaires. Les chemins du post-communisme achève cette fine analyse de cinquante années de communisme. Par ailleurs, ses contributions à de nombreuses revues (Esprit, Commentaire, Études, Les Temps modernes, La Lettre internationale, L'Alternative...) constituent autant d'analyses nuancées et documentées des mécanismes de domination des régimes est-européens et des réactions sociales qu'ils engendrèrent.
Reconnu comme un des meilleurs spécialistes de l'Europe centrale et orientale, estimé pour son indépendance d'esprit et son honnêteté intellectuelle, il a produit une œuvre littéraire qui lui vaut nombre de récompenses et de prix dans divers pays européens.
Humaniste et européen convaincu, se réclamant du « judéo-christianisme », ne pouvant renier ce qui, dans sa jeunesse, l'avait porté vers le communisme, il restera fidèle à ses convictions sociales-démocrates, même si sa vision lucide sur le stalinisme lui attira l'hostilité d'une partie de l'intelligentsia de gauche dans les années 1960. Il ne retournera en Hongrie qu'en juin 1989, pour les obsèques solennelles d'Imre Nagy, le héros malheureux de la révolution hongroise de 1956 à laquelle il consacra plusieurs ouvrages. La Hongrie inaugurait ainsi, par cet acte hautement symbolique,[...]
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Écrit par
- Edith LHOMEL : chargée de cours à l'Institut d'études européennes de l'université de Paris-VIII, analyste-rédactrice aux éditions de la Documentation française
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