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GOGUEL FRANÇOIS (1909-1999)

Il faut d'abord évoquer le Sénat, puisque le jeune juriste y est entré au service de la séance en 1931 et qu'il y a passé toute sa vie professionnelle, occupant, de 1958 à 1971, la fonction suprême de secrétaire général. Dire qu'il y a conçu une estime illimitée pour le « milieu politique » serait excessif ! Il faut relever ensuite qu'il a été prisonnier de guerre, avec une particularité : c'est dans le camp, loin de ses livres et de ses documents, qu'il a écrit un livre qui, paru en 1946, allait faire autorité pendant des décennies : La Politique des partis sous la IIIe République.

Sans jamais négliger ses obligations professionnelles, il est devenu l'un des fondateurs de la science politique française. Reprenant, développant, transformant l'héritage d'André Siegfried, il est devenu le grand maître de la géographie électorale, découvrant et expliquant des permanences départementales ou cantonales parfois surprenantes. La géographie électorale est devenue ensuite sociologie électorale, les données sociales contemporaines s'ajoutant aux déterminants historiques. Le livre bilan Géographie des élections françaises sous la IIIe et la IVe République (1971) a pourtant exercé une influence moindre que son constant travail avec les « politologues » (il préférait dire « politistes ») des générations suivantes. Et ses commentaires réguliers des élections (recueillies, de 1981 à 1983, en trois volumes de Chroniques électorales) ont moins appris aux étudiants que La Politique en France, manuel plus explicatif que descriptif, écrit avec Alfred Grosser, paru en 1964 et constamment réédité pendant vingt ans.

Les chercheurs et les étudiants qu'il a guidés étaient prioritairement ceux de Sciences-Po. Professeur à l'Institut d'études politiques de Paris (I.E.P.), président de son conseil de direction de 1969 à 1989, président, de 1971 à 1981, de la Fondation nationale des sciences politiques (gestionnaire de l'institut et maison-mère de centres de recherche comme le Cevipof – Centre d'étude de la vie politique française), il a marqué de son empreinte l'ensemble de la rue Saint-Guillaume, où siégeait aussi l'Association française de science politique, qu'il a présidée de 1967 à 1982.

Il n'a pas eu à abandonner ces fonctions désintéressées pendant les neuf années (1971-1980) où il fut un membre fort actif et fort influent du Conseil constitutionnel, constamment inspiré par un respect scrupuleux de la légalité et des principes républicains. On ne saurait dire qu'il s'y est fait le champion de l'intégration européenne. En effet, il s'est toujours voulu défenseur de la souveraineté nationale, cette conviction-là se trouvant liée à l'une de ses fidélités. C'est son attachement au général de Gaulle et l'estime que celui-ci lui portait qui firent de François Goguel le présentateur et annotateur du recueil Discours et messages de Charles de Gaulle, paru en 1970.

Une fidélité sans doute plus essentielle fut son attachement au protestantisme. Un protestantisme fort peu sectaire, mais chargé d'au moins deux vertus : la modestie et la rigueur morale qu'on applique à soi-même. Fils de Maurice Goguel, professeur à la Sorbonne, historien, théologien, exégète, auteur d'une Vie de Jésus importante et controversée, il est resté lié toute sa vie au temple de l'Oratoire, à Paris, où furent en particulier célébrées ses noces d'or, moment culminant d'une vie de couple exceptionnelle.

Ses activités scientifiques comme l'exercice de ses fonctions au Sénat et au Conseil constitutionnel lui ont assurément valu considération et influence. Mais c'est sans doute sa personnalité même qui a le plus agi sur les autres, qui a le plus fait agir les autres. Sa bienveillance lui interdisait toute[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite des Universités, Institut d'études politiques de Paris

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