GROS FRANÇOIS (1925-2022)
Le biologiste français François Gros naît le 24 avril 1925 à Paris. À l’âge de vingt ans, il entame une thèse de biochimie sur les antibiotiques, chez Michel Macheboeuf à l’Institut Pasteur . Il appartient à la lignée des biochimistes, plus qu’à celle des généticiens. Il est avant tout intéressé par les mécanismes moléculaires du vivant. Il fera carrière au CNRS jusqu’à son élection au Collège de France en 1973. Après le décès prématuré de son premier patron, il rencontre Jacques Monod, se prend de passion pour la biologie moléculaire naissante et participe à l’intense bouillonnement intellectuel des années 1950-1960, aux côtés de Jacques Monod, François Jacob, André Lwoff, mais aussi James D. Watson chez qui il fera un stage à Harvard, Sydney Brenner, Walter Gilbert et bien d’autres, en France et aux États-Unis. C’est dans ce contexte qu’ il co-découvre l’ARN messager, l’un des jalons majeurs d’une carrière scientifique très riche qu’il a décrite dans un livre (Mémoires scientifiques. Un demi-siècle, Odile Jacob, 2003) et rapportée dans des entretiens. Il y raconte avec humour comment, âgé de vingt-deux ans, il participa à son premier colloque international, y perdit son assurance et son équilibre, et tomba de l’estrade pour s’affaler aux pieds d’Alexandre Fleming. Ou comment, alors que les photocopieuses n’étaient pas nées, il égara dans un taxi un des deux exemplaires dactylographiés de son volumineux mémoire de 600 pages à quelques jours de la soutenance, pour le retrouver à temps au service des objets trouvés, rue des Morillons, à Paris.
En 1962, âgé de trente-sept ans, il crée son laboratoire à l’Institut de biologie physico-chimique, rue Pierre-Curie à Paris. Celui-ci sera rapidement surpeuplé et dépourvu de moyens. Chacun comptait parcimonieusement les pipettes, les filtres et les réactifs avant de démarrer la moindre expérience, et parfois les négociait âprement avec des collègues. Mais la créativité était là. François Gros poursuivit ses travaux sur les ARN messagers des bactéries et de leurs virus (les bactériophages). Il les étendit rapidement à ceux des organismes supérieurs. C’est par le biais de l’analyse des ARN messagers, et pas seulement des protéines, qu’il aborda la question fondamentale de la régulation de l’expression des gènes. Cela l’amena à travailler sur l’articulation entre transcription et traduction, et sur le rôle clé des « facteurs d’initiation » dans cette dernière. Il travailla quelque temps à l’Institut de biologie moléculaire nouvellement créé à la faculté de Jussieu, avant d’être rappelé à l’Institut Pasteur par Monod, qui en était devenu le directeur. C’est là, ainsi que dans le laboratoire associé à sa chaire du Collège de France, qu’il déploya ses recherches sur la différenciation cellulaire dans les organismes supérieurs. Comme de nombreux pasteuriens, il avait fait le « grand saut » des bactéries aux vertébrés, sans s’arrêter à des organismes de moindre complexité, comme la levure, le nématode ou la mouche. Sa formation et son expérience de biochimiste l’y avaient sans doute préparé mieux que d’autres. C’est dans le domaine de la différenciation des cellules musculaires que ses contributions ont été particulièrement abondantes et significatives.
Animé d’une curiosité intellectuelle insatiable et servi par une mémoire hors du commun, François Gros est un véritable homme des sciences naturelles, évoluant sans cesse entre la science la plus profonde et la réalité biologique. Comme il le disait souvent : « Il faut bien que le spéléologue remonte à la surface. » Il l’a toujours fait avec grand talent. Ses livres en portent la trace. Remarquablement documentés, ils sont structurés de telle sorte que le lecteur perçoive les lignes de force du champ scientifique, et en tire des projections éclairées vers[...]
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Écrit par
- Philippe KOURILSKY : professeur émérite au Collège de France
Classification
Média