HÉRAN FRANÇOIS (1953- )
L’élection en juin 2017 de François Héran à la chaire « Migrations et sociétés » du Collège de France couronne une trajectoire singulière dans l’histoire des sciences sociales, tout en symbolisant l’évolution d’ensemble de son domaine de recherche – l’étude sociodémographique des populations – depuis les années 1980.
Une conception universaliste des sciences sociales
La formation de François Héran, celle d’un normalien agrégé de philosophie, né à Laon (Aisne) en 1953, l’inscrit dans la filière classique de la sociologie française, ouverte par Émile Durkheim à la fin du xixe siècle. Son regard est celui d’un moderne. Il donne le primat à la raison, outil d’investigation universel posant ses exigences : formaliser sur la base d’observations empiriques, exposer avec clarté choix de procédures et résultats, défendre l’autonomie scientifique envers le pouvoir politique, les groupes de pression et l’opinion publique.
Si cette combinaison est – ou devrait être – à la base de toute démarche en sciences sociales, François Héran détonne par l’extension qu’il lui a donnée. Il est impossible de réduire à une appartenance disciplinaire un chercheur qui n’a cessé de gouverner entre sociologie, démographie, anthropologie sociale, statistique, histoire sociale et histoire des sciences.
La trajectoire de François Héran commence à la fin des années 1970 à la Casa de Velázquez où, marqué par l’enseignement de Pierre Bourdieu à l’École normale supérieure et celui d’Isac Chiva à l’EHESS, il consacre une thèse de troisième cycle à la grande propriété agraire andalouse depuis la fin du xviiie siècle (Le Bourgeois de Séville, 1990), tout en s’initiant à l’analyse statistique avec l’économiste Michelle Riboud. À l’Institut français d’études andines à La Paz, où il étudie le marché foncier d’une vallée aymara, il croise le grand ethno-historien Thierry Saignes (1946-1992). Chassé par le coup d’État de 1980 en Bolivie, il entre à l’Institut national d’études démographiques (INED) en 1980 sous l’égide d’Henri Leridon et revisite avec Michel Bozon le « choix du conjoint », question fondatrice de la sociologie de la famille.
Avec sa thèse d’État, qu’il soutiendra en 1996, il réinterprète l’histoire longue de la formalisation des systèmes de parenté (Figures de la parenté, 2009) en réévaluant la dette de Claude Lévi-Strauss à l’égard du sinologue Marcel Granet et en bâtissant un outil de représentation généalogique inédit et universel. Il dénoue ainsi plusieurs énigmes classiques des études de parenté (comme la viabilité des systèmes qui équilibrent les échanges entre sexes malgré de forts écarts d’âge) et démontre que la modélisation ne permet pas de trancher entre les ressorts des liens de parenté successivement proposés par les anthropologues (don, dette, intérêt, domination masculine, circulation des humeurs, logique mathématique). François Héran publiera également sur les liens entre rite et croyance, la théorie sociale ou l’éthique de la démographie.
En parallèle, il conçoit et met en œuvre de grandes enquêtes (sociabilité, investissements scolaires des familles, participation électorale), dont certaines inédites, comme l’étude de l’usage et de la transmission des langues régionales ou étrangères dans les familles. Il dirige tour à tour les institutions centrales dans son domaine – la division Enquêtes et études démographiques de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) de 1993 à 1998, puis l’INED de 1999 à 2009, avant de présider l’Association européenne pour l’étude de la population (European Association for Population Studies) de 2008 à 2012 et de s’occuper de 2014 à 2016 du département Sciences humaines et sociales à l’Agence nationale de la recherche. Depuis avril 2017,[...]
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Écrit par
- Paul-André ROSENTAL : professeur des Universités, Sciences Po, Paris
Classification
Média