JULLIEN FRANÇOIS (1951- )
Philosophe et sinologue, François Jullien est né en 1951. Son œuvre a enrichi les débats conduits aujourd'hui autour de la globalisation et de la diversité des cultures. Ancien élève de l'École normale supérieure, d'abord féru de philosophie grecque et latine, il découvre, en apprenant le chinois et en séjournant en Chine à la fin des années 1970, l'immensité de l'écart entre les deux cultures, et le défi grandissant qui est posé à notre universalisme. Par la suite, François Jullien sera notamment président de l'Association française des études chinoises (1988-1990), puis président du Collège international de philosophie (1995-1998). Directeur du Centre Marcel-Granet, il dirige également l'Institut de la pensée contemporaine.
La Chine et l'expérience de l'altérité
Depuis 1985, les différents essais publiés par François Jullien nous montrent comment le détour par la Chine et sa langue, la plus étrangère aux catégories de notre logos occidental, contraint le philosophe à sortir de son ethnocentrisme. Cette langue l'amène à penser à une plus large échelle : dans l'écart justement, la confrontation ou le heurt. Et, si la philosophie commence par l'étonnement, le patient déchiffrement de l'altérité chinoise multiplie les surprises, par exemple celle de nommer la simple chose « est-ouest », le paysage « haut et bas » ou « mer et montagne »...
En bousculant nos intuitions les plus familières, ces formes nous incitent à mieux nous connaître nous-mêmes, à faire l'expérience de cette réflexivité tellement vantée mais qui demeure bloquée tant qu'on reste chez soi ou qu'on se cantonne à sa langue. Comment prendre encore au sérieux le doute radical exigé par Descartes, qui révoqua tous ses contenus de conscience mais non leurs cadres ou des catégories logico-grammaticales aux évidences incontestées ? Le chantier ouvert par François Jullien vient ainsi ébranler tout un socle de certitudes restées impensées, car sédimentées dans l'ordre millénaire de notre langue et de notre culture. Ses livres nous apprennent d'abord à entrer dans une pensée décidément autre, et à nous regarder enfin du dehors.
Après Éloge de la fadeur (1991) et La Propension des choses. Pour une histoire de l'efficacité en Chine (1992), un ouvrage popularisa dès 1995 ce projet : Le Détour et l'accès. Stratégies du sens en Chine, en Grèce. Là où l'Occident pense causes, choses, événements, révolutions, individus, sujets..., le bien nommé Empire du Milieu privilégie les flux, les processus, les transitions imperceptibles, les polarités à la fois antagonistes et complémentaires. Dans des domaines aussi divers, énumérés par ce livre, que l'agriculture, l'art militaire, la nomination poétique ou le jeu de go, les stratégies gagnantes passent par une perception plus large ou plus complexe des protagonistes que celle que montre, par exemple, le théâtre occidental, lieu de l'affrontement, ou qu'une prise en compte purement technique des phénomènes. La culture chinoise pratique le détour et la mobilisation de forces ou de facteurs apparemment indirects.
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Écrit par
- Daniel BOUGNOUX : professeur à l'université de Grenoble-III-Stendhal, dirige l'édition des œuvres romanesques d'Aragon dans la Bibliothèque de la Pléiade
Classification
Média