LE LIONNAIS FRANÇOIS (1901-1984)
Ingénieur chimiste de formation, François Le Lionnais aimait se présenter comme mathématicien. Jeune encore, il s'occupe du téléphone automatique. Résistant, il est déporté à Dora où il sabote le système de guidage des V2. Après la guerre, cet ami de Marcel Duchamp fondera, avec Raymond Queneau, l'Oulipo. François Le Lionnais a toujours eu des activités variées, la principale ayant été celle de conseiller scientifique de divers organismes de recherche, de l'ex-O.R.T.F., des Musées nationaux de France, etc. Président d'honneur de l'Association des écrivains scientifiques de France — qu'il a fondée en 1950 avec son autre président d'honneur, Louis de Broglie —, il est également membre du comité consultatif du langage scientifique de l'Académie des-sciences, du comité d'étude des termes techniques français, de la commission de restauration des œuvres d'art des Musées nationaux de France. Producteur d'une émission radiophonique : La Science en marche, sur France-Culture, il est l'auteur de nombreux articles et ouvrages de vulgarisation scientifique.
Spécialiste international des échecs, il a fait partie d'un groupe d'experts Euratom pour l'étude d'un programme de jeu d'échecs automatique.
L'œuvre de François Le Lionnais a toutes les chances de rester longtemps méconnue. Qu'il s'agisse d'une œuvre, et du fait que son auteur se considérait comme un artiste, il n'y a, je crois, guère de doute. Mais de quel art ? Voilà ce qu'on serait bien en peine de dire.
J'ai connu, jeune, deux Le Lionnais très différents. Il m'a fallu des années pour comprendre qu'il s'agissait de la même personne. Le premier était l'auteur, ou plutôt l'assembleur des textes d'un livre qui a suscité bien des vocations : Les Grands Courants de la pensée mathématique, publié par une revue de poésie, les Cahiers du Sud, un peu après la guerre. Ce livre magnifique combinait des écrits de grands mathématiciens sur les mathématiques et surtout, fait important pour ma génération, le premier texte non technique d'un auteur mystérieux destiné à devenir célèbre dans le monde scientifique : le mathématicien collectif écrivant sous le nom de Bourbaki. Or ce même François Le Lionnais était le héros d'une « aventure », racontée par Claude Roy dans un roman : il avait survécu en déportation, dans un des camps les plus terribles, Dora, par l'exercice d'une discipline mentale : la reconstitution par la mémoire devenant description d'un unique tableau du Louvre, dit La Vierge au chancelier Rolin. Ce n'est que des années plus tard, quand Raymond Queneau m'a demandé de venir à l'Oulipo, que j'ai pu reconnaître l'unicité de ces deux personnages, et que j'ai lu ce texte admirable, paru en revue en 1946, et qu'il est difficile de trouver aujourd'hui : La Peinture à Dora.
Deux des passions de François Le Lionnais apparaissent là : la peinture et les mathématiques ; particulièrement sous l'aspect commun et caché des nombres ; amour des nombres qu'il partageait avec Queneau. Il collectionna des nombres toute sa vie, pour leurs propriétés surprenantes qui sont comme leurs couleurs ; un peu comme Nabokov collectionnait les papillons ; récemment, un peu avant sa mort, il a publié le fruit de cette cueillette patiente, commencée dans l'enfance, en un dictionnaire des Nombres remarquables, où l'érudition la plus folle, l'exactitude maniaque et l'humour se rassemblent. Livre qui n'est pas de la mathématique, qui n'est pas de la littérature, mais qui pourtant est de l'art. Cet art, sa vie entière en est comme l'illustration ; et il a, dans ses Mémoires inédits, tenté d'en donner une définition, sous le nom provisoire qui est[...]
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Écrit par
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