MARTY FRANÇOIS (1904-1994)
Un large béret, le sourire inimitable et le parler rocailleux, tel était le nouvel archevêque à qui Paul VI, en ce printemps de 1968, donnait la succession du cardinal Veuillot sur le siège de Paris. Il arriva le 29 avril. Ce jour-là, et bien qu'il fût Rouergat, il devint le plus illustre des Auvergnats de Paris. Pourquoi aurait-il écouté les conseilleurs qui l'invitaient à « perdre son accent » ? La capitale était en révolution : ce fut sa manière de garder sa distance et sa différence. Il était lui-même avant d'être une personnalité et une autorité.
Toutes les institutions paraissaient ébranlées. Cette liberté était une manière d'assurer sa présence immédiate à ceux dont il avait la charge et de montrer qu'il n'y a d'institutions que d'hommes, avant toute « grandeur d'établissement » pour le dire comme Pascal au Grand Siècle. Son premier acte fut de lancer parmi son clergé une « consultation » : trois questions très simples. Du jamais vu. Il reçut un millier de réponses, personnelles ou collectives, parfois de vraies dissertations. La crise moderniste au début de ce siècle, à laquelle il avait consacré sa thèse de théologie à l'institut catholique de Toulouse, avait moins secoué le monde ecclésiastique que l'effervescence de Mai-68.
Il était l'homme de la situation. Son prédécesseur venait d'être emporté à cinquante-cinq ans par un cancer du pancréas, après un épiscopat réformateur (par nécessité locale et dans l'esprit conciliaire de Vatican II) qui avait été bref mais dur. Il avait l'art de faire tomber la pression et de réduire les tensions. Partout, il s'imposa sans jamais faire montre d'autorité. Un homme tranquille et tranquillisant, qui ne se prenait pas pour un monstre sacré, et comme on en a besoin pour l'ordinaire de la vie.
C'était un rural, né le 18 mai 1904 dans la ferme paternelle de la Bouriate, sur la commune de Pachins (Aveyron). École primaire, petit séminaire, le grand séminaire à Rodez entrecoupé par le service militaire, l'ordination sacerdotale en 1930, vicaire, curé, archiprêtre, vicaire général, le goût de l'Action catholique : un parcours classique, jusqu'en cette année 1952 où, remarqué par le nonce Mgr Roncalli — le futur Jean XXIII —, il est nommé évêque de Saint-Flour. Sept ans plus tard, il est envoyé à Reims où, le 8 juillet 1962, il accueillera dans sa cathédrale le général de Gaulle et le chancelier Adenauer pour la grande réconciliation franco-allemande.
L'événement de sa vie, ce sera le concile de Vatican II et ses quatre sessions (1962-1965) : « une nouvelle Pentecôte » et « le plus grand don de Dieu pour le monde du IIIe millénaire », dira-t-il un jour. Il y préside, à leur demande, les réunions hebdomadaires que les évêques français tiennent à Saint-Louis-des-Français. Il y est le rapporteur du décret sur le ministère et la vie des prêtres, qu'il fait passer à la quasi-unanimité : 4 voix contre pour 2 390 oui. En septembre 1968, le général de Gaulle lui confie son découragement : comment « arrêter un barrage qui s'écroule » ? Et il ajoute : « L'Église aura peut-être aussi son barrage de Fréjus. » Oui, peut-être, lui répond l'archevêque, mais elle a su faire son concile, et « c'est là une grande sécurité ». En 1981, à l'heure de la retraite, son héritage tiendra en un mot : « Je vous confie le Concile... »
Les treize années passées à Paris lui avaient pourtant montré ce qu'il en allait d'un optimisme démesuré. Il avait dû affronter, en particulier, une double contestation : un clergé dans le vent qui voulait se « décléricaliser », un clergé à contre-courant qu'exigeait le respect de la tradition et l'intégrité de la foi. Devant le mouvement Échange et Dialogue, devant l'occupation[...]
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Écrit par
- Émile POULAT : directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales
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