MASPERO FRANÇOIS (1932-2015)

« Tout en moi affirme que je suis né le 24 juillet 1944, à l'âge de douze ans et demi. En guise de sage-femme, je vois le visage d’un agent de la Gestapo », confie François Maspero dans Les Abeilles & la guêpe (2002). Ce jour-là, la Gestapo venait arrêter ses parents : leur fils aîné, Jean Maspero, avait tué un officier allemand. Les parents seront déportés, Jean tué au combat en septembre 1944. C’est une « naissance à la mort » pour François Maspero, né le 19 janvier 1932 à Paris, petit-fils de l’égyptologue Gaston Maspero, et fils du sinologue Henri Maspero, tous deux professeurs au Collège de France. L'ombre de son frère le marquera profondément : « S'il y a quelque chose de positif dans cette absence, c'est ça : résister, penser, imaginer », dira-t-il.

En 1955, à vingt-trois ans, après une scolarité qu’il juge « exécrable », François Maspero acquiert grâce à l’héritage de sa grand-mère une petite librairie en déshérence dans le quartier Latin. Il la nomme Librairie de l’Escalier. Au-dessus se trouvent les locaux de Peuple et Culture, dont il fait sien l'idéal de culture populaire et de résistance.

Le métier de libraire le passionne. À l’étroit, il achète en 1957 une librairie plus grande, La Joie de lire, au 40, rue Saint-Séverin. C’est l’époque des « événements » d’Algérie ; La Joie de lire, qui ferme à minuit et où il est possible de lire sur place, va devenir un lieu mythique de la culture contestataire et de la diffusion des livres et revues interdits par la censure.

En 1959, François Maspero crée les éditions qui portent son nom. Son modèle est Guy Lévis Mano, typographe, poète et éditeur, véritable artisan du livre. S'il a, à l'origine, la volonté d'éditer des textes littéraires, Maspero est marqué notamment par le « caractère insoutenable des guerres coloniales », et publie quantité de textes engagés. Son premier livre est La Guerre d’Espagne de Pietro Nenni, dans la collection Cahiers libres, ainsi intitulée en hommage aux Cahiers de la quinzaine de Charles Péguy. Il crée de nombreuses autres collections telles Textes à l’appui, qui accueille des essais ; La Bibliothèque socialiste ; Histoire classique, dirigée par Pierre Vidal-Naquet ; Théorie, dirigée par Louis Althusser ou Voix, plus littéraire. Il lance des revues, parmi lesquelles Partisans, un des principaux vecteurs de l’anticolonialisme. 1967 voit la naissance de la Petite collection Maspero, « bibliothèque portative du parfait gauchiste » (Dominique Lecourt) ; y figureront Mao Zedong, Ernesto Che Guevara ou Hô Chi Minh.

Le libraire-éditeur est régulièrement victime de la censure. En 1959, son deuxième livre, L’An V de la révolution algérienne, de Frantz Fanon, est interdit et saisi. Ratonnades à Paris sera détruit chez l'imprimeur. La diffusion de la revue cubaine Tricontinental lui vaut de lourdes amendes. L’éditeur de la place Paul-Painlevé et la librairie cumulent ainsi près de 300 000 francs d'amendes à la fin de 1974. Visé par plusieurs attentats venant de l'extrême droite, Maspero devient « l’homme le plus plastiqué de France ».

Les comptes de La Joie de lire seront plombés par les vols réguliers qu'y pratiquent ceux qui accusent Maspero de « se faire de la laine sur le dos de la révolution ». Ils agissent en toute impunité, la plupart des vendeurs refusant d'intervenir. Quant à la police, « Masp » se garde de l'alerter : elle pourrait en profiter pour faire fermer la librairie. En 1973, la situation économique est critique ; une soirée de soutien « Pour que Maspero continue » est organisée et un mouvement de solidarité se met en place. La maison d'édition survit, mais La Joie de lire est vendue en 1975 : c’est un choc pour celui qui écrira que « perdre sa librairie, c’était comme perdre sa terre[...]