MORELLET FRANÇOIS (1926-2016)
De l'œuvre de François Morellet, que l'on associe toujours et uniquement à l'art cinétique ou à l'op art, on pourrait dire qu'elle relève d'une abstraction géométrique. Ironie mise à part (un trait marquant de Morellet), cela est déjà beaucoup. Car se pose immédiatement le bien-fondé de cette double appellation à propos d'une production où l'« abstrait » est sans cesse remis en cause, et où la « géométrie » contredit continuellement l'idée que l'on se fait habituellement d'une science rigoureuse. On pourrait ensuite dire que la caractéristique de cette œuvre, à tout le moins non figurative, est sa conception systématique et son développement par niveaux logiques. Mais là encore, cette logique relève parfois de l'aléatoire le plus invraisemblable. Enfin, et contrairement à tout un courant de l'abstraction moderne et contemporaine, l'œuvre de Morellet est totalement matérialiste et n'aspire à aucune vérité spirituelle ou ontothéologique.
Né le 30 avril 1926 à Cholet, où il va vivre et travailler, François Morellet poursuit ses études tout en exerçant des activités dans l'entreprise industrielle de son père qu’il dirigera jusqu’en 1975. Il se consacre assez rapidement à la peinture. Presque autodidacte, il entreprend en 1948 d'abord un travail figuratif, et devient abstrait en 1950, époque à laquelle il expose à la galerie Raymond Creuze, à Paris. À partir de 1952, Morellet choisit de travailler avec des formes simples (lignes, carrés, bandes de couleur, triangles) qu'il peint de manière uniforme et répétitive sur le support, en adoptant une facture volontairement anonyme. Radicalisant cette absence de subjectivité, et à l’image de ce qu’opère l’Oulipo dans le langage, il va définir une méthode de travail qui consistera à trouver chaque fois un système lui permettant de réaliser des œuvres. Ce sont donc les principes établis au préalable qui seront la cause matérielle et conceptuelle de l'objet. Parmi ces nombreux procédés, plus ou moins loufoques, citons la toile Répartition aléatoire de 40 000 carrés suivant les chiffres pairs et impairs d'un annuaire de téléphone (1961), dont le titre (comme souvent chez Morellet) suffit à expliquer le mode de fabrication, ou bien les séries des « trames » des années 1960, où l'on peut voir des lignes noires réparties sur la surface selon des logiques précises, lignes plus ou moins épaisses, en réseaux plus ou moins resserrés, telle 4 Doubles trames traits minces 0, 220 5, 450, 670 5, 1958 (Musée national d'art moderne, Paris). Sa participation au G.R.A.V. (Groupe de recherches d'art visuel) de 1961 à 1968, dont il est l'un des animateurs, fera désormais de lui un artiste cinétique. Mais si l'artiste ne récuse pas cette appellation, il serait réducteur de comprendre l'art de Morellet comme relevant seulement de jeux optiques.
Les systèmes auxquels recourt Morellet opèrent parfois sur les supports eux-mêmes, lesquels peuvent être agencés sur les murs selon des rotations, des permutations, ou d'après une ligne qui semble les traverser, telle Ligne horizontale passant sur trois carrés : premièrement de la moitié du côté à celle du côté lui faisant face, deuxièmement de la moitié d'un côté à un angle, troisièmement d'un angle à un angle, 1974 (F.R.A.C. de Bourgogne). Le bon mot et les plaisanteries verbales et visuelles se retrouvent dans certains néons, comme Néons avec programmation aléatoire, poétique, géométrique (1967), où trois carrés peuvent laisser apparaître, selon les allumages hasardeux, les mots « non », « nul », « cul » ou « con ». L'application de cette sorte d'« esprit de géométrie » trouvera à s'exercer également en architecture, lorsque l'artiste interviendra grâce à ses lignes et à ses constructions[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jacinto LAGEIRA : professeur en esthétique à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne, critique d'art
Classification
Autres références
-
CONCRET ART
- Écrit par Arnauld PIERRE
- 2 723 mots
- 1 média
En France, la relève de l'art concret a été assurée très tôt parFrançois Morellet (1926-2016). Autodidacte, il découvre l'œuvre de Bill en 1951 et imagine aussitôt ses premiers systèmes régissant à la fois l'organisation de la couleur et l'occupation tabulaire de la surface par de petites unités... -
DYNAMO (exposition)
- Écrit par Maïten BOUISSET
- 1 142 mots
- 1 média
Au regard de l’histoire du cinétisme, un hommage particulier était rendu à François Morellet et à ses amis Horacio Garcia Rossi, François et Vera Molnar, Julio Le Parc, Hugo Demarco, Francisco Sobrino ou Yvaral, tous associés au GAV (Groupe de recherche d’art visuel) constitué en juillet 1960... -
INSTALLATION, art
- Écrit par Bénédicte RAMADE
- 3 512 mots
- 1 média
...sujet. Les membres du Groupe de recherche d'art visuel (G.R.A.V.), organisé en France en 1961 autour d'Horacio Garcia-Rossi (1929-2012), Julio Le Parc, François Morellet, Francisco Sobrino (1932-2014), Joël Stein et Jean-Pierre Yvaral (1934-2002), ont, en 1963, poussé le spectateur docile et distant,... -
LE PARC JULIO (1928- )
- Écrit par Cécile GODEFROY
- 771 mots
Figure historique de l'art cinétique, l'Argentin Julio Le Parc, né en 1928 à Mendoza, vit et travaille à Cachan. Après s'être formé à l'académie des Beaux-Arts de Buenos Aires, il effectue son premier voyage à Paris en 1958. Là, il rencontre la galeriste Denise René et...