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POULAIN DE LA BARRE FRANÇOIS (1647-1723)

Penser l’égalité des sexes

Si l’inspiration cartésienne est fondamentale dans la pensée féministe de Poulain, il développe également des arguments relevant du droit naturel. Selon lui, l’examen des premières sociétés ne montre pas de rapports sociaux régis par l’inégalité des sexes. Quand Poulain retrace l’histoire de l’humanité, il affirme que cette inégalité apparaît avec l’exogamie, qui fait des femmes des objets d’échange avec des inconnus qui ne les respectent pas. Elle se développe également avec le préjugé selon lequel la grossesse rend impropre au travail. Enfin, Poulain examine plus particulièrement le principal contrat auquel les femmes peuvent être partie à cette époque, c’est-à-dire le contrat de mariage. Il constate qu’il ne s’agit pas d’un véritable contrat, les deux parties n’étant pas égales dans leurs droits et devoirs ni identiquement éclairées dans leurs choix possibles.

Poulain propose aussi une autre généalogie de l’humanité, rappelant la méthode jusnaturaliste qui, au xviie siècle, enracine le droit dans la nature humaine. Ici, il ne cherche pas des références dans les sociétés ancestrales mais dans la toute première communauté humaine, celle qu’auraient formée Adam et Ève, qui permet de découvrir que la misogynie a une origine plus profonde. L’auteur fait en effet de la volonté adamique de dominer sa compagne, Ève, la marque même du premier péché. L’inégalité des sexes serait donc le plus ancien des préjugés, celui dont tous les autres découlent, puisque tout préjugé est un jugement qui distingue et dévalorise. Tout cela est développé dans le troisième ouvrage féministe de l’auteur, au titre évidemment ironique : De l’excellence des hommes. S’appuyant sur les Écritures, un misogyne y présente ses arguments, contredits par une préface et une postface proposant une autre exégèse biblique, profondément égalitaire. Cet ouvrage se rattache donc au mouvement de relecture critique de la Bible. Les passages du texte sacré qui peuvent sembler défavorables aux femmes ne le sont que parce que les messagers de Dieu ont tendance à s’adresser aux êtres humains dans un langage qui leur est familier et donc non exempt de préjugés sexistes. Les trois traités féministes de Poulain sont écrits avant sa conversion au protestantisme et son départ pour Genève. On notera cependant que cette exégèse critique de la Bible pourrait trouver une certaine inspiration dans la démarche des fondateurs réformés. Mais, ici, elle est au service de l’égalité des sexes et d’une lecture rationnelle du texte sacré. Elle comprend également les commentaires de certains pères de l’Église, ce qui ne correspond pas à la démarche protestante qui se limite à la seule Bible.

Le travail de Poulain a quelque chose de décisif et d’intrigant. Décisif car il est fondateur d’un féminisme moderne centré sur l’égalité. Pour Poulain, les différences ne devraient être qu’individuelles et non de genre ou de classe. Il ouvre à des questions plus générales qui se développeront au cours des Lumières comme celle de la reconnaissance du mérite au détriment du rang. Intrigant puisque l’acmé des disputes sur les femmes semble passée à l’époque de Poulain et que les motifs qui ont poussé l’auteur à écrire ces trois textes si importants restent largement inconnus. Ils jouiront, en tout cas, d’une postérité anglaise explicite au xviiie siècle, et plus implicite en France, chez Madame Dupin par exemple. La réflexivité de Poulain – comment un homme peut-il écrire sur les femmes sans être juge et partie ?, se demande-t-il – est soulignée par Simone de Beauvoir qui le cite en exergue du Deuxième Sexe. Les arguments de Poulain restent, à n’en pas douter, d’une actualité remarquable.

— Marie-Frédérique PELLEGRIN

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Écrit par

  • : maître de conférences habilitée à diriger des recherches, faculté de philosophie, université Jean-Moulin Lyon-III

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