RABELAIS FRANÇOIS (1483 env.-1553)
Libre penseur ou chrétien sincère, soutien de la politique royale ou esprit subversif, philosophe ou conteur facétieux : ces rôles, et quelques autres, les commentateurs les ont prêtés à Rabelais, dont l'œuvre polymorphe échappe à tout classement. Les quatre romans publiés de son vivant donnent à rire et à penser, dans une dualité qui ne facilite pas l'interprétation. Ces textes où l'on débat de tout sont eux-mêmes source de réflexion critique.
Le livre et le siècle
L'expérience qui nourrit les romans de Rabelais est double, comme il arrive souvent au xvie siècle. Dans une certaine mesure, l'expérience livresque précède celle de la vie, à chaque étape de son existence.
Rabelais naît sans doute en 1483, encore que la date de 1494 ait parfois été proposée. Son père, avocat royal, possédait une propriété à la Devinière, près de Chinon, et la tradition veut que l'écrivain y ait vu le jour. Son enfance, il la passe dans cette Touraine qui va laisser dans son œuvre tant de souvenirs et de noms familiers. Mais la première expérience qui ait compté dans sa formation est celle de la vie monastique, d'un couvent à l'autre. Sans doute entre-t-il en 1510 ou 1511 comme novice chez les cordeliers de la Baumette, près d'Angers. En 1521, le voici moine au couvent des cordeliers de Fontenay-le-Comte. Or il apprend le grec, une curiosité mal vue dans un ordre qui n'était guère intellectuel. On lui retire ses livres de grec. En 1524, cependant, il passe chez les bénédictins de Maillezais, dans un milieu plus cultivé. Il a la chance de connaître l'évêque Geoffroy d'Estissac, qui va le protéger, et qui l'emmène dans ses déplacements. Rabelais fréquente le poète Jean Bouchet ou le juriste André Tiraqueau. Toute cette période semble dominée par la découverte de la littérature grecque, source d'idées, de citations, de termes pittoresques.
Aussi déterminante sera l'expérience du milieu médical, comme nous le savons maintenant. Rabelais s'intéresse à la médecine. Pour suivre des cours, il quitte l'habit de moine, sans autorisation ecclésiastique. En septembre 1530, il s'inscrit à Montpellier, université moderne et prestigieuse. Rapidement reçu bachelier, ce qui prouve qu'il avait une connaissance antérieure de la théorie médicale, il peut dès lors enseigner, et il commente dans le texte grec Hippocrate et Galien, les autorités antiques. Il assiste à une dissection pratiquée par le maître Rondelet, qui sera un des modèles du médecin Rondibilis dans le Tiers Livre. En novembre 1532, il est nommé médecin à l'hôtel-Dieu de Lyon, ville ouverte et vivante, où il rencontre imprimeurs et poètes. Au cours de cette même année 1532, il publie, d'une part, des éditions savantes d'Hippocrate et de Galien et, d'autre part, un livret populaire et facétieux, le Pantagruel, son premier roman. L'année suivante, il s'amuse à composer la Pantagruéline Prognostication, parodie de l'astrologie divinatoire.
Cette nouvelle étape a permis à Rabelais d'approfondir ses connaissances scientifiques, et ses écrits vont en bénéficier. C'est à Hippocrate qu'il doit la thèse d'une thérapeutique par le rire. Développée dans les prologues sur le mode burlesque, cette théorie semble avoir inspiré le projet de l'œuvre entière.
Cet esprit curieux de tout était fait pour le voyage. Après les milieux érudits, voici l'expérience romaine, qui nous est bien connue grâce à de récentes recherches dans les archives. L'évêque Jean du Bellay, en partance pour l'Italie, a besoin d'un médecin : en 1534, Rabelais fait un séjour à Rome, la future Papimanie du Quart Livre. C'est sans doute dans les premiers mois de l'année 1535 qu'il publie le Gargantua, bien que l'on ait parfois daté de 1534 la[...]
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Écrit par
- Françoise JOUKOVSKY : professeur émérite à la faculté des lettres de Rouen
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Médias
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