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RABELAIS FRANÇOIS (1483 env.-1553)

La dérision

Autant de raisons d'espérer. Le texte n'en reste pas moins ambigu, volontairement brouillé par un jeu verbal qui interdit la réduction à un système de pensée. Comme l'ont montré de récents travaux, ce “plus haut sens” dont parle Rabelais dans le prologue de Gargantua n'est ni une interprétation symbolique ni une sorte de message. C'est plutôt une invitation à voir le pour et le contre, à lire entre les lignes, à ne rien prendre au sérieux, et surtout pas ce qu'affirment les personnages. Inauguré par l'auteur, l'exercice critique doit être perpétué par le lecteur.

La parodie contribue beaucoup à ce ton du “jeu sérieux”, qui est celui d'un Lucien ou d'un Érasme. Elle est partout dans ce livre qui réunit différents genres, roman de chevalerie, lettre, discours à l'antique, petite épopée, propos de table... Mais quelles sont ses limites ? Quand Rabelais célèbre les dettes ou le Pantagruélion, il pastiche le genre de l'éloge paradoxal, pratiqué notamment par les Italiens. Toutefois, ces morceaux de bravoure contiennent quelques vérités, qu'il est difficile de démêler parmi tant de sophismes. L'éloge des dettes suggère par exemple la notion de la solidarité universelle. De même, la lettre de Gargantua dans le Pantagruel est à la fois un credo humaniste et une parodie d'un genre littéraire, la “lettre du père”. Où commence le jeu ? Cette incertitude gagne des épisodes entiers. L'évocation de Thélème a parfois été lue comme un exercice, à la manière du genre descriptif. Le lecteur ne sait pas de quel côté penche la balance, et il est contraint de réagir par lui-même.

Il en résulte que de nombreux textes sont susceptibles de plusieurs interprétations. Certes, cette pluralité du sens n'est pas admise par tous les critiques, une telle méthode n'étant pas sans danger. Mais comment réduire à une seule lecture le débat par signes de Pantagruel et de Thaumaste ? Simple divertissement ? Charge contre le formalisme scolastique ? Ou contre l'occultisme ? Éloge du langage corporel ? Même indétermination dans les temps forts de la geste des géants, prologues et conclusions. Dans le dernier chapitre du Pantagruel, le narrateur interrompt son récit parce qu'il a mal à la tête et qu'il a trop bu. Rabelais cherche lui-même à effacer sa trace. Certains ont supposé que c'était en partie par prudence, notamment à l'époque du Quart Livre, lorsque les évangéliques en viennent à l'hésuchisme, c'est-à-dire une attitude de réserve causée par la persécution. Mais on peut aussi penser que cette désinvolture est caractéristique d'une certaine forme de création littéraire, qui s'apparente au jeu, comme chez un Villon.

Il y a pire : des chapitres où le langage est vidé de son sens et n'exprime que des sottises. Ces passages peuvent être d'une longueur déconcertante. Le jargon latinisant de l'écolier limousin ou les discours que Panurge tient dans différents idiomes sont une perversion du langage. Mais c'est surtout le genre du coq-à-l'âne qui déroule des propos absurdes, farcis de charnières faussement logiques, dans les plaidoyers de Baisecul et de Humevesne. Maître Janotus ou le juge Bridoye font un usage déraisonnable des mots, ces outils peu fiables. Les commentateurs semblent de plus en plus sensibles à cet aspect paradoxal de l'œuvre de Rabelais, qui exploite en virtuose les ressources du langage, mais parfois pour le remettre en question.

C'est cet entre-deux, entre le sérieux et le rire, qui fait le charme de l'œuvre. Nulle sécurité pour le lecteur : il est toujours sur le qui-vive... Certes, on voit bien à qui Rabelais en veut, qu'il s'en prenne aux rois belliqueux, aux théologiens intolérants, aux juges corrompus, aux maîtres retardataires, aux bigots hypocrites, aux[...]

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Rabelais - crédits : Spencer Arnold/ Hulton Archive/ Getty Images

Rabelais

Gargantua, F. Rabelais - crédits : De Agostini/ Getty Images

Gargantua, F. Rabelais

Autres références

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