RASTIER FRANÇOIS (1945- )
François Rastier s'est montré l'un des esprits les plus inventifs dans le domaine des sciences du langage. Né à Toulouse en 1945, docteur en linguistique, directeur de recherche au C.N.R.S., son œuvre est aujourd'hui reconnue internationalement. Elle est fondée sur une audace et une originalité. L'audace est sans doute d'avoir choisi comme champ de recherche la sémantique, discipline ardue et peu courue. L'originalité est d'avoir porté cette discipline à dépasser la seule étude du signe linguistique pour l'appliquer à des ensembles de textes.
Dans les années 1960, en effet, son maître, Algirdas-Julien Greimas, s'efforce d'appliquer l'analyse des unités minimales de signification – les sèmes – à des unités prises en contexte, avec l'objectif de décrire des univers sémantiques. On pouvait penser à l'époque que la linguistique, cantonnée à l'étude des unités de langue, ne pouvait dépasser les limites de la phrase : une linguistique du texte semblait de ce fait impossible.
C'est pourtant à cela que François Rastier s'attache dès ses premières recherches, en partant du principe que les sèmes s'opposent, mais aussi se combinent entre eux. C'est l'un des fondements de la « sémantique différentielle » qu'il contribue à fonder. Il approfondit par là plusieurs idées de Greimas, comme celle d'isotopie, en dressant progressivement une typologie des sèmes. Au long d'une immense lecture des textes, François Rastier s'efforce de dégager isotopies (récurrence de sèmes) et « molécules sémiques » (groupements de sèmes). De là une distinction fondamentale qui parcourt son œuvre, entre sens et signification : « la signification est une propriété des signes », « le sens une propriété des textes » (Arts et sciences du texte, 2001).
Dans une telle approche, l'utilisation de l'informatique est primordiale. François Rastier s'est intéressé très tôt, particulièrement dans ses travaux à l'Institut national de la langue française (promoteur du Trésor de la langue française), aux corpus informatisés. Il s'est efforcé de rapprocher la théorie sémantique de l'analyse automatique de textes, de façon à faire admettre l'idée d'adapter la description des corpus aux objectifs des applications (Sémantique pour l'analyse, 1994). De fait, le numérique ouvre une troisième époque de l’écrit par « l'accès immédiat au corpus » et à « la lecture non linéaire ». Donc à une nouvelle approche des textes qui permet de construire une nouvelle « textualité » : ce qui fait qu'un texte est texte et soumis à interprétation.
Il y a là encore un rapprochement précurseur. D'une part, François Rastier relie la linguistique à l'analyse des textes, y insistant même : « les textes sont l'objet de la linguistique ». D'autre part, il s'efforce de rallier à cette « linguistique ouverte sur les textes » plusieurs disciplines laissées en désuétude ou hors champ, telles la philologie, la rhétorique et surtout l'herméneutique. Il est nécessaire, notamment, de faire coopérer dans ce rapprochement toutes les problématiques sémantiques. Ce programme n'est possible qu'en inventoriant et en reprenant les grands concepts de la tradition, y compris ceux de la philosophie du langage, savamment exploités dans la synthèse qu'en donne François Rastier, particulièrement dans Sémantique et recherches cognitives (1991 ; nouv. éd. 2001). En alliant linguistique et textes, François Rastier tend à faire prendre conscience du statut éminemment herméneutique de la linguistique. Il s'agit en effet d'interpréter les textes en eux-mêmes et pour eux-mêmes. Cela, en s'efforçant de relever les filiations, les correspondances, les conditions de leur fonctionnement,[...]
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Écrit par
- Loïc DEPECKER : agrégé de grammaire, docteur en linguistique, professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne
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