HUTIN FRANÇOIS RÉGIS (1929-2017)
Patron du groupe Ouest-France, homme de presse aux fortes convictions, François Régis Hutin, dans le sillage du christianisme social de sa famille, s’est sans doute toujours pensé en missionnaire : ancien séminariste de la Mission de France à Lisieux, où se formèrent de nombreux prêtres-ouvriers, il est resté toute sa vie pratiquant et admirateur de l’abbé de Lamennais, catholique libéral du xixe siècle. Deuxième d’une fratrie de cinq, François Régis Hutin était le petit-fils d’Emmanuel Desgrées du Loû, fondateur de l’Ouest-Éclair en 1899 avec l’abbé Trochu. C’est son père, Paul Hutin-Desgrées, qui avait repris le journal à la Libération, le 7 août 1944, renommé alors Ouest-France. Le jeune homme timide, dont l’élocution pâtissait d’un cheveu sur la langue, est longtemps resté dans l’ombre de cette figure tutélaire.
Né le 26 juin 1929 à Rennes, François Régis Hutin fait après ses années de séminaire le tour du monde pendant deux ans à bord de navires de la marine marchande (1952-1954). Étudiant en sociologie à son retour en France, il entre en 1961 comme journaliste stagiaire à Ouest-France. Il vient alors de se marier à Jeanne Françoise Lanternier ; le couple aura cinq enfants. François Régis Hutin devient directeur général du quotidien en 1965. En 1968, il achète les journaux d’annonces gratuites du Carillon et en fait le puissant groupe Spir Communication. Pour conserver la direction du groupe de presse, il doit lutter contre son oncle, François Desgrées du Loû. Il l’emporte grâce à sa force de travail, quelques manœuvres osées et le soutien du président Louis Estrangin. Nommé président-directeur général en 1984, il cumule alors toutes les fonctions à la tête du groupe de presse et son pouvoir demeurera incontesté. Également de la rédaction et éditorialiste, il prend parti pour l’Europe, contre la peine de mort, dénonce les conditions de vie en prison et plaide pour l’aide au Tiers Monde. Ces engagements sont empreints d’un humanisme d’inspiration chrétienne qui le place au centre gauche de l’échiquier politique ; François Mitterrand le fait acclamer lors d’un meeting en 1981, mais il se dit longtemps proche de Pierre Méhaignerie et de François Bayrou. Pour le journal, la règle est surtout de ménager les élus locaux, de tous bords. Comme journaliste, François Régis Hutin se met en scène dans de grands reportages (en plongée en Nouvelle-Calédonie, en Yougoslavie pendant le conflit des années 1990).
Sa préoccupation constante a été de sauvegarder l’œuvre de sa famille et l’indépendance de son groupe face aux ambitions des géants de la presse. En 1990, il réorganise la répartition du capital, qui est transféré à l’Association pour le soutien des principes de la démocratie humaniste. Au début des années 2000, il fait le choix d’entrer au capital de 20 Minutes pour maîtriser le développement de la presse d’information gratuite sur le territoire de Ouest-France. En 2005, en pleine expansion de la famille Dassault dans les médias, il acquiert les trois titres du pôle Ouest de la Socpresse : Le Maine libre, Le Courrier de l’Ouest et Presse Océan.
La puissance quasi totale du groupe Ouest-France qu’il a bâti est souvent dénoncée. Il faut dire qu’avec ses multiples éditions locales, le titre est le premier quotidien français (676 000 exemplaires pour 2016-2017, 65 millions de visites par mois du site Internet). Outre ce titre phare, l’empire Ouest-France comprend la régie publicitaire Précom, des télévisions locales, des maisons d’édition, des magazines… De 88 millions de francs (13 millions d’euros) quand il a pris les commandes du groupe en 1965, François Régis Hutin a ainsi porté le chiffre d’affaires annuel à près d’un milliard d’euros en une cinquantaine d’années. Le groupe emploie 1 300 salariés, dont 553 journalistes, en 2017.[...]
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Écrit par
- Claire BLANDIN : professeure des Universités en sciences de l'information
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