CHATEAUBRIAND FRANÇOIS RENÉ DE (1768-1848)
Il « restaura la cathédrale gothique, rouvrit la grande nature fermée, inventa la mélancolie et la passion moderne. » Ce jugement de Théophile Gautier résume heureusement l'image légendaire de Chateaubriand, auteur opportun du Génie du christianisme, peintre mélodieux des rives du Meschacébé, alias Mississippi, et pionnier presque involontaire du désarroi romantique, viaRené et le « vague des passions ». Mais Gautier n'évoque pas ce à quoi, dans sa vie, Chateaubriand tint le plus, son personnage politique ; serviteur parfois indocile, et plus souvent insatisfait, de Bonaparte, puis des Bourbons restaurés, il sut de démissions en renvois se donner le rôle amer et savouré de l'« inutile Cassandre » (discours du 7 août 1830), de l'homme assez libre et lucide pour avertir ses propres partisans de leurs erreurs, et rejeté par eux pour cela même. Il y avait dans cette attitude un dépit d'arrivisme déçu qui ne fut étranger ni à la rédaction ni, après sa retraite définitive en 1830, à l'achèvement de ces fameux Mémoires d'outre-tombe ébauchés dès le début du siècle : monument indubitable, et œuvre sans pareille dans son mélange d'intimisme et d'épopée, de nostalgie et de sarcasme ; c'est sa vie telle que Chateaubriand a voulu la faire lire, et tous les silences, toutes les distorsions du vrai y sont concertés en vue de l'harmonie du tout. Peintre de son temps, Chateaubriand s'y montre moins fragile historien des trente premières années du siècle que de sa propre aventure, dont les zones d'ombre ne furent qu'après sa mort fouillées par l'érudition bien ou mal intentionnée. Aujourd'hui que nous connaissons Chateaubriand, homme politique et homme privé, bien mieux que ne faisaient ses contemporains, nous pouvons sur l'essentiel reprendre les définitions qu'il donnait lui-même de sa situation « entre deux siècles, comme au confluent de deux fleuves » (Mémoires d'outre-tombe, XLIV, viii) : entre la république et la monarchie, entre le doute et la foi, entre le souvenir et la prédiction. Lire Chateaubriand aujourd'hui c'est donc encore souvent s'enchanter d'un style ; c'est admirer un historien original ; c'est, dans tous les cas, aimer un homme et ses imperfections d'homme. Le goût évoluant, de larges pans de l'œuvre ont vieilli, mais il reste partout un artiste au vaste cœur changeant, musicien, peintre et metteur en scène à chaque instant capable de nous surprendre et de nous charmer.
Né sous Louis XV, mort après la chute de Louis-Philippe
Cette vie longue (Saint-Malo, 4 sept. 1768 -Paris, 4 juill. 1848) nous apparaît partagée en « époques » et par les circonstances et par la volonté organisatrice de Chateaubriand lui-même. Dans une note des archives de Combourg, datable des environs de 1843, et qu'a révélée M.-J. Durry, le vieil homme se penchant sur son passé y distinguait quatre moments : « ma carrière de soldat, ma carrière littéraire, ma carrière politique, et ma carrière mêlée au-delà de la chute de la monarchie ». Pourquoi chercher meilleur fil directeur ? C'est celui même des Mémoires d'outre-tombe.
La jeunesse et les armes (1768-1800)
Par son ascendance paternelle, qui remonte au xie siècle sur les confins de la Bretagne et de l'Anjou, François-René de Chateaubriand vint au monde breton, chrétien, royaliste, et épris d'indépendance. Ce cadet de famille, destiné tour à tour aux ordres, à la marine, suivit des études irrégulières ; de ses jeunes années il retint surtout les impressions reçues au château de Combourg, acheté par son père en 1761 et où celui-ci se retira en 1777. L'adolescent y vécut notamment, après l'interruption de sa scolarité, de l'été de 1783 à l'été de 1786, et s'y créa dans la solitude une amoureuse imaginaire, sa « Sylphide », fantasme ô combien fondateur[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Patrick BERTHIER : ancien élève de l'École normale supérieure, docteur d'État ès lettres, assistant à l'université de Paris-IV-Sorbonne
Classification
Média
Autres références
-
CHATEAUBRIAND. POÉSIE ET TERREUR (M. Fumaroli)
- Écrit par Pierre-Louis REY
- 1 111 mots
Goethe avait intitulé Poésie et vérité son autobiographie, où se formule un certain idéal du moi. Symétriquement, la méditation sur les fractures du temps et sur les interférences entre histoire personnelle et histoire politique conduit Marc Fumaroli à baptiser son essai Chateaubriand. Poésie...
-
ESSAI SUR LES RÉVOLUTIONS, François René de Chateaubriand - Fiche de lecture
- Écrit par Jean Marie GOULEMOT
- 965 mots
- 1 média
En 1794, F. R. de Chateaubriand (1768-1848) commence à rédiger l'Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes et modernes, considérées dans leurs rapports avec la Révolution française. Quand il le publie, en 1797, à Londres, la Révolution est achevée. À l'en croire,...
-
ITINÉRAIRE DE PARIS À JÉRUSALEM, François René de Chateaubriand - Fiche de lecture
- Écrit par Guy BELZANE
- 1 778 mots
Publié en février 1811, quelques jours après la réception de François René de Chateaubriand (1768-1848) à l'Académie française, Itinéraire de Paris à Jérusalem est le récit du voyage effectué par l'auteur en Grèce, en Asie Mineure et en Palestine, avant son retour par l'Égypte,...
-
MÉMOIRES D'OUTRE-TOMBE, François René de Chateaubriand - Fiche de lecture
- Écrit par Pierre-Louis REY
- 1 111 mots
- 1 média
Les Mémoires d'outre-tombe sont, comme le signale leur titre et selon la volonté de Chateaubriand (1768-1848), une œuvre posthume, publiée d'abord en feuilleton dans La Presse, à partir du 21 octobre 1848, puis en douze volumes, de 1849 à 1850. Ils sont issus des « Mémoires de ma vie...
-
RENÉ, François René de Chateaubriand - Fiche de lecture
- Écrit par Pierre-Louis REY
- 1 050 mots
René (sous le titre René et Céluta) et Atala furent conçus au départ comme des épisodes des Natchez, roman dont Chateaubriand (1768-1848) puisa l'inspiration dans son voyage en Amérique du Nord (juillet-décembre 1791), mais qu'il ne publia qu'en 1826. Il l'a en effet provisoirement délaissé au...
-
AUTOBIOGRAPHIE
- Écrit par Daniel OSTER
- 7 522 mots
- 5 médias
Chez Chateaubriand aussi la fiction de la tombe (« J'ai toujours supposé que j'écrivais assis dans mon cercueil », Préface testamentaire, 1833) assure dans l'imaginaire le seul point d'ancrage pour une écriture sans cesse tracassée par l'histoire. Work in progress, les... -
BERLIOZ HECTOR (1803-1869)
- Écrit par Cécile REYNAUD
- 4 247 mots
- 3 médias
...Épisode de la vie d’un artiste, l’œuvre se situe aussi dans le genre autobiographique pour lequel le compositeur choisit de faire référence à Chateaubriand : le jeune musicien, double du compositeur, dont le programme décrit les souffrances et les délires amoureux, est habité comme le personnage... -
RÉCIT DE VOYAGE
- Écrit par Jean ROUDAUT
- 7 128 mots
- 2 médias
...xviiie puise, dans les récits de voyage, anecdotes et arguments. C'est un pèlerinage qu'entreprennent, à la façon des hommes du Moyen Âge, Chateaubriand et Lamartine : leurs descriptions de paysages sont explications de textes bibliques. « Je connais maintenant le secret des douleurs de Jérémie,... -
EXOTISME
- Écrit par Mario PRAZ
- 3 485 mots
- 4 médias
...trouve pleinement satisfait, mais plutôt celui qui idolâtre l'image fantastique d'une terre lointaine. Un passage des Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand peut être à cet égard considéré comme exemplaire : « Il serait trop long de raconter quels voyages je faisais avec ma fleur d'amour ; comment,... - Afficher les 10 références