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SIMIAND FRANÇOIS (1873-1935)

Un savant sans laboratoire

La carrière académique de Simiand s’est développée en « demi-teinte » eu égard à son parcours intellectuel. Il a été bibliothécaire au ministère du Commerce et de l’Industrie (1901-1906) puis au ministère du Travail (1906-1921) et chargé de conférences d’histoire des doctrines économiques à la IVe section de l’École pratique des hautes études (EPHE, 1910-1931). Mais il a aussi occupé des postes clés hors de l’université : il fut membre du Conseil supérieur de statistique, vice-président (1907-1920) puis président de la Société de statistique de Paris (1921) et membre de l’Institut international de statistique et des commissions mixtes de la Société des Nations (SDN) et du Bureau international du travail (BIT).

Pendant la Première Guerre mondiale, il est un collaborateur clé d’Albert Thomas au ministère de l’Armement et, dès 1919, il prend la tête de la Direction du travail, de la législation ouvrière et des assurances sociales en Alsace. Sa carrière universitaire se précise : professeur en « organisation du travail et associations ouvrières » (1919), professeur d’économie politique (1924) au Conservatoire national des arts et métiers, directeur d’études en histoire et statistiques économiques, puis d’histoire des faits et des doctrines économiques à l’EPHE, il succède à Georges Renard à la chaire d’histoire du travail du Collège de France (1932) qu’il occupe peu de temps, avant de mourir, épuisé, des conséquences d’une mauvaise grippe en 1935.

Les conditions de « ce travail de bénédictin forcené » (L. Febvre) n’ont pas tenu seulement aux aléas d’une carrière « marginale » ni à ses engagements politiques socialistes d’abord, puis coopératistes. Elles ont résulté d’un choix qui correspondait à un projet scientifique (la défense de la « science positive »), lequel, à l’écart des spéculations universitaires, cherchait à se confronter aux conditions concrètes de la réalité et de l’action et à un idéal de « chercheur » dont Lucien Febvre, lui rendant hommage, souligna les difficultés : l’absence de laboratoires et de travail d’équipe, la non-reconnaissance de la recherche comme une « fonction nécessaire, rétribuée et organisée comme telle ».

La pensée et l’expérience de François Simiand ont exercé une influence profonde et paradoxale sur les historiens fondateurs des Annalesd’histoire économique et sociale, Lucien Febvre et Marc Bloch, qui ont reconnu en lui l’un des promoteurs de l’histoire sociale et économique. Plus tard Fernand Braudel republiera (1960) l’article de 1903, et Camille-Ernest Labrousse, après 1945, deviendra le véritable « traducteur » de Simiand pour les historiens. En revanche, son héritage aura été marginalisé par les sociologues et longtemps relégué par les économistes qui, depuis le début du xxie siècle, redécouvrent dans la relecture de ses travaux les fondements d’une théorie sociale de l’action économique.

— Bertrand MÜLLER

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