TANGUY FRANÇOIS (1958-2022)
Le nom de François Tanguy – né le 23 juin 1958 à Caen (Calvados) – est indissociable de celui du théâtre du Radeau, créé au Mans en 1977 et dont il devient le metteur en scène à partir de 1982. À ces deux noms, il faudrait également associer celui du lieu, La Fonderie, que la compagnie investit à partir du milieu des années 1980, en s'installant dans un ancien garage automobile du Mans et qu'elle inaugure en 1992 : lieu de travail, lieu d'accueil d'autres compagnies, lieu de rencontres et de débats politiques et philosophiques. Un lieu d'hospitalité et de pensée, aussi emblématique de l'esprit qui préside aux spectacles du Radeau, au « mouvement théâtral » tel que Tanguy l'évoquait à l'occasion de Coda (2004) : « accueillir, rassembler, renouer, délier » ; le lieu, enfin, d'un engagement au contact du réel qui ne s'est jamais démenti, en particulier lors de la guerre de Bosnie (François Tanguy prit alors part à la grève de la faim menée à la Cartoucherie, en 1995, après l'annonce des massacres de Srebrenica).
Dans les années 1980, les spectacles du Radeau peuvent encore prendre la forme de mises en scène de textes dramatiques (Dom Juan, de Molière, 1982 ; Le Songe d'une nuit d'été, de Shakespeare, 1985) ou se réapproprier des figures (Jeu de Faust, 1987) ou des matériaux théâtraux spécifiques (Woyzeck-Büchner-Fragments forains, 1989), qui alternent cependant déjà avec des créations ex nihilo (L'Éden et les cendres, 1983 ; Le Retable de Séraphin, 1984 ; Mystère Bouffe, 1986, empreint d'une théâtralité foraine, clownesque et grotesque). Par la suite, le Radeau abandonnera complètement le référent dramatique pour créer – avec Chant du bouc (1991), Choral (1994), Bataille du Tagliamento (1996), Orphéon-Bataille-suite lyrique (1998), Les Cantates (2001), Coda (2005), Ricercar (2007), Passim (2014) ou encore Par autan (2022) – des spectacles singuliers qui ont fait de François Tanguy un des artistes les plus marquants du théâtre européen contemporain.
Le théâtre de Tanguy échappe aux principes de la représentation dramatique traditionnelle : il ne construit pas de fable ni de personnages, et la succession de séquences qu'il propose ne constitue pas un discours ni un réseau sémantique unifié. Et si ce théâtre, longtemps quasi muet ou marqué du sceau du gromelot – des mots formés de sons dépourvus de sens apparent –, a reconvoqué ensuite la parole, les extraits de textes d'origines diverses (théâtraux, lyriques, narratifs, et parmi lesquels on retrouve Kafka, Artaud, Hölderlin, Robert Walser, ou encore Shakespeare et les Antiques) où il puise ne sont jamais portés selon les modalités d'une expressivité et d'une audibilité canoniques, mais proférés, déclamés ou murmurés, souvent, pour les textes étrangers, dans leur langue originale, parfois portés par la musique et parfois submergés par elle. Car à l'intérieur même des séquences qui se succèdent, les éléments scéniques ne sont pas soumis à une hiérarchisation figurative, mais jouent ensemble et rentrent en tension : les spectacles convoquent ainsi des « voix », c'est-à-dire des textes et des musiques (vocale tout particulièrement, de Bach à Dusapin), mais aussi des lumières, des postures du corps, des agencements spatiaux, sans assujettir un élément à un autre, sans faire converger leur alliance en une intelligibilité et une signification données. C'est qu'il ne s'agit pas de faire de la scène le lieu d'une figuration mimétique, mais bien d'y produire une expérience sensible – ne pas « faire une simulation, mais une réalité, sensible, sensorielle » (programme d'Orphéon).
Si ce théâtre est de nature profondément fragmentaire, les séquences ne fonctionnent cependant pas comme des tableaux isolés.[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Christophe TRIAU : professeur en études théâtrales à l'université Paris-Nanterre, unité de recherche HAR - Histoire des arts et des représentations
Classification
Média
Autres références
-
RICERCAR (F. Tanguy)
- Écrit par Didier MÉREUZE
- 962 mots
On les a dit enfants de Tadeusz Kantor. On les a comparés à Bob Wilson. Ils n'ont été jamais qu'eux-mêmes. Depuis trois décennies, le Théâtre du Radeau et François Tanguy sont les grands ordonnateurs d'un théâtre à nul autre pareil. Devenus une référence pour les nouvelles générations,...
-
KAFKA EN REPRÉSENTATION (mises en scène F. Tanguy et M. Langhoff)
- Écrit par David LESCOT
- 1 517 mots
Mis à part Le Gardien de tombeau, une pièce énigmatique et relativement méconnue, Franz Kafka n'a pas écrit pour le théâtre. On recense pourtant de nombreuses tentatives de porter son œuvre à la scène (Le Procès, créé dernièrement au festival d'Avignon par Dominique Pitoiset,...
-
THÉÂTRE OCCIDENTAL - Le mélange des genres
- Écrit par Jean CHOLLET
- 6 558 mots
- 7 médias
...ont offert des aspects différents et représentatifs de la rencontre de la musique avec le théâtre. Metteur en scène et animateur du Théâtre du Radeau, François Tanguy a amorcé depuis plus de vingt ans la recherche d'un théâtre polymorphe dans lequel la musique joue un rôle constitutif. Après ... -
THÉÂTRE OCCIDENTAL - Crises et perspectives contemporaines
- Écrit par Jean CHOLLET
- 3 827 mots
- 5 médias
...troupes ont privilégié, pour des raisons autant artistiques que politiques, ce mode de fonctionnement. Parmi elles, le Théâtre du Radeau installé par François Tanguy au Mans depuis 1977 (Ricercar, 2008 ; Passim, 2013) ou nos voisins belges du tg STAN depuis 1989 (Anathema, 2005 ; Les Estivants, 2012...