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VILLON FRANÇOIS (1431-apr. 1463)

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Un lignage littéraire

Mais si la figure que le poète construit dans son œuvre s'ancre dans son expérience, elle jaillit aussi du nom dont il se re-nomme : Villon, celui de son « plus que père » (Le Testament, huitain 87), Guillaume de Villon. Les termes Guillaume et Villon proviennent tous deux du même mot guille qui désigne la ruse, et la langue connaît des dérivés nombreux du mot villon, tels que villonner, villonnizer, au sens de « voler », « tromper ». Cette silhouette a sa source également dans une tradition littéraire, celle du goliard, du clerc vagant, déclassé, vagabond, qui chante le vin et les filles, et qui exerce son esprit à la satire et à la dérision. En témoignent, entre autres, la « Ballade et Oroison pour l'âme du bon feu maistre Jehan Cotart », « Père Noé qui plantâtes la vigne » (Le Testament) et la « Ballade de la belle Hëaumière aux filles de joie », avec ses adresses à la « belle Gantière » et à « la gente Saucissière » (ibid.).

François Villon s'inscrit dans un lignage littéraire qui va d'Hugues Primat et de l'Archipoète au xiie siècle, à Rutebeuf au xiiie siècle, et à Eustache Deschamps au siècle suivant. Est-ce cette filiation que le poète désigne, de biais, lorsqu'il écrit dans le trente-cinquième huitain du Testament :« Pauvre je suis, de ma jeunesse, / De pauvre et de petite extrace ; / Mon père n'ot onc grand richesse, / Ne son aïeul nommé Orace » ?

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Villon est-il de la race d'Horace ? Le jeu est sérieux. Il se poursuit lorsque le poète désigne, en lieu de lien, des légataires.

Deux forces majeures animent l'écriture de Villon : la discontinuité (travail sur la ligne brisée) et l'ambiguïté qui joue de la superposition des niveaux de sens et de leur mise en doute respective. La discontinuité chez Villon est une poétique, c'est-à-dire un choix. Le poète désigne lui-même certains passages de son texte comme digressions : « En cet incident me suis mis » (Le Testament, huitain 33), et, qui plus est, digressions inutiles : « Qui de rien ne sert à mon fait » (ibid.). Il multiplie les gestes et les signes de rupture : halètement de la forme poétique retenue, le huitain d'octosyllabes, huitains très rarement enchaînés ; foisonnement des hiatus, des ruptures de construction (Le Lais et Le Testaments'ouvrent à leur première strophe sur une telle figure) ; martèlement des répétitions : des « je donne », « je laisse », « item ». D'une œuvre à l'autre, le poète travaille par reprise et ajout : ajout de nouveaux légataires et de nouveaux dons, cristallisation progressive de l'œuvre dans un rythme et un jeu de coq-à-l'âne.

La discontinuité chez Villon s'inscrit dans une esthétique qui se met en place à la fin du Moyen Âge, au carrefour du lyrique et du narratif et qu'illustre Le Testament. Technique du montage qui inclut dans son écriture la liberté du lecteur, son autonomie. L'œuvre, toujours à la limite du dépeçage, se présente sous le signe de la déliaison. Dans cette nouvelle orientation, le choix de la formule du testament parodique est un acte décisif. La forme testamentaire en effet joue à la fois sur le recueil et la dispersion des biens comme de la personne. Elle prend à un fil narratif minimal les pièces lyriques qu'elle distribue ; elle n'impose pas à l'auteur, comme dans le cas du dit narratif à insertion lyrique, de renouer. Elle fait lien à elle seule – un lien discontinu. Thématiquement, énumérer des choses qu'on laisse comporte à la fois un principe d'unité (les dons sont tous en rapport avec le sujet qui fait son testament, mais dans le cas de Villon il s'agit d'un sujet faillé) et un principe d'hétérogénéité. Il n'y a plus de ligament, mais des légataires. L'idée testamentaire qui devrait mettre en valeur le lignage, le lien familial ou amical, ne signale plus, dans sa forme burlesque, que sa décomposition. Il n'y a de corde chez Villon que celle du pendu. La mort dénoue.

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La pose testamentaire assure aussi la liberté et la virulence de la satire. Ainsi que le souligne le poète : « Qui meurt a ses lois de tout dire » (Le Testament, huitain 71). Plus de fausse pudeur, plus de protection, plus de flatterie. Au seuil de la mort, fût-elle mimée, on se met en règle, réglant ses comptes envers soi-même par la confession, envers le monde par la dénonciation ou la dérision.

Le Testament de François Villon se présente donc comme le tombeau du lyrisme. Il en est le monument et il en dit la dispersion. Comme l'avait fait avant lui Alain Chartier, cité dans Le Testament, dans sa Belle Dame sans mercy, le poète prend congé de certains thèmes par la parodie ou le burlesque. Il en va ainsi de la figure de l'amant-martyr. La trahison, la fausseté et la mort délient les amants, les sens – d'où le jeu de Villon avec l'ambiguïté –, délient les corps et les éparpillent. Ce que l'on trouve ensemble, ce sont des têtes, détachées de leur corps : « Ensemble en un tas, pêle mêle » (Le Testament, huitain 163). Par ailleurs, le texte met en débat certains autres motifs, tel celui de l'idéalisation de la vie pastorale. Il oppose à l'exaltation de la vie simple aux champs qu'avait prônée Philippe de Vitry des contredits, « Les Contredits de Franc Gontier », sous la forme d'une ballade dont le refrain proclame : « Il n'est trésor que de vivre à son aise » (Le Testament), vers dont se souviendra Bertolt Brecht dans L'Opéra de quat'sous. Et l'« aise », pour le poète, c'est la vie de luxe, le « mol duvet » et les nourritures raffinées ; non pas la liberté dans la nature, mais l'oisiveté et les plaisirs du vin, des jeux et de l'amour dans une chambre bien chauffée. Villon est un poète de la ville, et de Paris tout particulièrement. Le Testament est ponctué d'enseignes et de cris de Paris : « Il n'est bon bec que de Paris » (« Ballade des femmes de Paris »), d'allusions à des chansons à la mode. C'est la technique du contrafactum, c'est-à-dire la récupération, dans un jeu de discordance, de mélodies en vogue pour certaines des pièces insérées. Ainsi de la bergeronnecte offerte à Jacquet Cardon : « S'elle eût le chant Marionnette / Fait pour Marion la Peautarde, / Ou d'Ouvrez vostre huis Guillemete, / Elle allât bien à la moutarde » (Le Testament, huitain 166).

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, agrégée de lettres modernes, docteur d'État, professeur de littérature française médiévale à l'université de Genève (Suisse)

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