VILLON FRANÇOIS (1431-apr. 1463)
Vin, vent, vanité
Quelques grands réseaux d'images et de sens donnent, en accord avec la forme de l'œuvre, la marque de cette poésie. Poésie du vol, tout d'abord, des bas-fonds, du point de vue thématique, ainsi que le chante le refrain de la « Ballade de bonne doctrine » : « Tout aux tavernes et aux filles » (Le Testament). Mais aussi, et plus profondément, poétique du voleur : « un chacun n'est maître du sien » (ibid., huitain 75), rappelle fortement le poète. Il prend l'exemple du titre de sa première œuvre qu'il avait appelée « laiz » et que l'on a nommée en dehors de lui « sans son consentement » testament. Si l'on n'est pas maître de son œuvre, pourquoi alors ne pas la distribuer, la faire voler au vent, reprenant ainsi l'initiative du mouvement ? Villon donne quitus à son notaire de modifier comme il l'entend Le Testament, avec cette restriction qui de fait annule l'affirmation : « De le canceller et perscrire / De sa main, et ne sût écrire » (huitain 174). Geste carnavalesque. Villon a l'art de mettre le sens en péril.
Poésie du vent sous toutes ses formes, nobles et immondes. Vent de la saison d'hiver, rude au pauvre qu'il dénude : « Sur le Noël, morte saison, / Que les loups se vivent de vent » (Le Lais) ; vent de la vanité de toute chose, de la fuite du temps, du ubi sunt : « Autant en emporte ly vens » (Le Testament, « Ballade en vieil langage françois »). Vent matériel et obscène de la grosse Margot : « Puis paix se fait et me fait un gros pet » (ibid., « Ballade de la grosse Margot »), roman fictif du « Pet au Diable », donné, comme un soufflet à son « plus que père » (Le Testament, huitains 87 et 88). Confrontation incessante du haut spirituel et du bas corporel. Une image résume la destinée telle que le poète la conçoit, c'est-à-dire sous le régime de Fortune : des corps de pendus se balançant au plaisir du vent, « Puis çà, puis là, comme le vent varie » (Ballade des pendus).
Un troisième réseau se déploie alors autour de la notion de change et noue des ramifications avec les précédents. Le change est monétaire, à l'enseigne de la tromperie et du vol. Villon met tour à tour en scène un personnage de changeur (Le Testament, huitain 126), des usuriers (ibid., huitain 127), des faussaires, des faux-monnayeurs, « tailleur de faux coins » (ibid., « Ballade de bonne doctrine à ceux de mauvaise vie »). Le change est spatial aussi, c'est le mouvement du voyage, de l'errance qui promène Villon de Paris à Orléans et de Blois à Paris. Le change, enfin, est intérieur. Il se lit dans la mutation essentielle de la jeunesse à la vieillesse que la belle Hëaumière enseigne aux filles de joie en termes monétaires : « Car vieilles n'ont ne cours ne être / Ne que monnoie qu'on décrie » (Le Testament). Il s'éprouve dans la théâtralisation du moi de Villon qui se demande sans cesse si je peut être un autre. Il se rêve dans une conversion qui transformerait le pécheur : « Mais convertisse et vive en bien » (ibid., huitain 14).
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Écrit par
- Jacqueline CERQUIGLINI-TOULET : ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses, agrégée de lettres modernes, docteur d'État, professeur de littérature française médiévale à l'université de Genève (Suisse)
Classification
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