HÉRITIER FRANÇOISE (1933-2017)

L’exercice de la parenté

C’est précisément chez les Samo qu’elle va repérer des structures de la parenté dont l’étude lui permet de faire progresser la théorie générale. Il s’agit des structures semi-complexes de l’alliance, véritable point de soudure entre les structures complexes, qui se limitent à indiquer les individus non épousables définis par leur position généalogique, et les structures élémentaires, fondées sur une détermination positive du lignage ou de la classe de mariage à l’intérieur desquels le sujet choisit une épouse. Dans les structures semi-complexes, le choix du conjoint est cette fois réduit par de multiples prohibitions (généalogiques et lignagères) sans pour autant que le système en vienneà imposer des mariages préférentiels – sauf, dans quelques cas, au plus proche des prohibitions. Françoise Héritier a saisi non seulement la continuité existant entre ces structures de la parenté, mais aussi l’accord profond qui existe entre chacune de ces structures et les représentations du corps (biologiques et sociales). Philippe Descola rapprochera ces structures de l’alliance des quatre modes d’identification des rapports entre les humains et les non-humains qu’il théorisera dans Par-delà nature et culture (2005) : alors que l’animisme et le totémisme sont sans conteste du côté des structures élémentaires, l’analogisme et le naturalisme relèvent respectivement des structures semi-complexes et complexes.

De 1959 à 1966, revenue de sa première mission en Haute-Volta, Françoise Héritier est chef de travaux à la VI^e section de l’École pratique des hautes études où elle dirige, pendant les cinq dernières années, le Centre d’analyse documentaire pour l’Afrique noire. Dans le même temps, elle poursuit ses activités de recherche et d’analyse, et fait plusieurs nouveaux séjours chez les Samo. En 1967, elle entre au CNRS et demande à être affectée au Laboratoire d’anthropologie sociale (LAS), fondé et dirigé par Lévi-Strauss en tant que professeur au Collège de France, associant des chercheurs du CNRS et de l’École des hautes études en sciences sociales. Françoise Héritier est élue directrice d’études à l’EHESS en 1980. Elle y encadre de nombreuses thèses, tout en exerçant la fonction d’enseignante. Le séminaire qu’elle anime rue de la Tour pendant plusieurs années avec deux autres africanistes, Jean Bazin et Marc Augé (qu’elle a épousé en deuxièmes noces), est alors un haut lieu de création intellectuelle. Le LAS est probablement l’institution au sein de laquelle Françoise Héritier élabore le plus amplement ses hypothèses et met au point des outils susceptibles de renouveler les fondements de la recherche en anthropologie. Ainsi, dans L’Exercice de la parenté, paru en 1981, elle met les statistiques et le traitement informatique au service de l’analyse anthropologique. C’est sans doute ce projet sur les systèmes de parenté qui convainc Lévi-Strauss de suggérer à ses pairs du Collège de France la nomination de Françoise Héritier comme sa successeure à la chaire d’anthropologie, dont elle sera titulaire pendant dix-sept ans et qui portera le nom d’« Étude comparée des sociétés africaines ». Pendant cette même période, Françoise Héritier dirige le Laboratoire d’anthropologie sociale où son séminaire d’équipe « Corps et affects », coordonné avec Margarita Xanthakou, contribue à renouveler le structuralisme lévi-straussien par l’étude des dispositifs symboliques liés au fonctionnement du corps et des fluides qui l’irriguent. C’est en confrontant la logique des fluides à l’opposition entre l’identique et le différent que Françoise Héritier met au jour la notion d’inceste du deuxième type, à savoir les relations entre deux consanguins de même sexe qui partagent le même partenaire sexuel : c’est la rencontre de substances identiques par le truchement[...]