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COTTON FRANK ALBERT (1930-2007)

Grand chercheur, auteur prolifique (plus de 1 600 publications savantes), d'un conservatisme politique et culturel aussi attachant qu'anachronique, le chimiste américain Frank Albert (dit « Al ») Cotton, né à Philadelphie le 9 avril 1930 et mort à Bryan (Texas) le 20 février 2007, mit surtout à son actif la découverte, à partir de 1963, d'assemblages de paires d'atomes métalliques par des liaisons multiples, doubles, triples ou même quadruples (rhénium-rhénium), affectant la moitié du tableau périodique des éléments.

Sa carrière s'épanouit tôt, dès son doctorat à Harvard. Il y étudia, sous la supervision de Geoffrey Wilkinson (1921-1996), les métallocènes, dont le prototype fut le ferrocène. Il continua par la suite à s'adonner aux chimies organométallique et inorganique. Nommé professeur au Massachusetts Institute of Technology (M.I.T.) à l'âge de trente et un ans seulement, il le quitta onze ans plus tard pour l'université Texas A&M. Les idées libérales de ses collègues du M.I.T. le rebutaient. Son goût pour l'équitation l'attira dans les grands espaces du Texas, où il devint un gentleman-farmer. Il résolut alors de se tourner vers l'étude radiocristallographique des protéines, mais ne réussit pas à briller dans ce champ de recherche inédit pour lui. Il poursuivit donc sa quête de nouveaux composés minéraux aux structures inédites.

Jusqu'en 1964, les chimistes n'avaient eu affaire qu'à des liaisons au maximum triples, comme celles entre les atomes d'azote du diazote N2, ou les atomes de carbone de l'acétylène C2H2. Cette année-là, Cotton et ses collaborateurs préparaient le dianion [Re2Cl4]2– et démontraient que les atomes métalliques y sont unis par une liaison quadruple. Cotton se voua à la recherche d'autres liaisons multiples entre des atomes métalliques, dans des molécules, des complexes ou des agrégats. Il le fit tant par des outils observationnels (diffraction des rayons X) que théoriques (calculs quantiques). Ce faisant, il put découvrir et décrire des objets dans lesquels des paires d'atomes, dotés chacun d'une orbitale occupée par un seul électron, s'unissent par des liaisons multiples plus ou moins fortes. Au pis, il s'agit seulement d'un couplage antiferromagnétique faible, au mieux, d'une robuste liaison covalente. Le record semble détenu actuellement par un complexe où deux atomes de chrome sont réunis par une liaison quintuple, postulée aussi pour l'espèce hypothétique U2, où U désigne l'élément uranium.

Cotton aimait écrire. Chemical Applications of Group Theory (1963), s'adressant aux seuls chimistes à la formation mathématique déjà respectable, servit donc surtout d'aide-mémoire à ceux-ci. Mais son grand succès éditorial fut la rédaction, conjointe avec Wilkinson, du traité encyclopédique Advanced Inorganic Chemistry (1962), qui eut six éditions et fut publié à plus d'un demi-million d'exemplaires en treize langues.

Son œuvre d'inorganicien fut celle d'un grand pionnier, d'un défricheur attaché tant à l'analyse structurale des entités qu'à leur régime dynamique. Ses contributions à l'étude d'espèces fluxionnelles, c'est-à-dire en constant remaniement interne par des mouvements atomiques intramoléculaires, tels ceux échangeant les coordinats CO dans des métaux carbonyles, que la résonance magnétique nucléaire permet de suivre dans leurs évolutions, furent elles aussi de grandes percées. Avant lui et quelques autres comme Wilkinson, la chimie inorganique était surtout descriptive. Cotton la remit à l'heure, lui fit rattraper une grande partie de son retard sur la chimie organique.

Cotton était un homme chaleureux, sûr de lui et de son charme, à la langue acérée, ce qui lui valut quelques déboires. Au rang[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire à l'École polytechnique et à l'université de Liège (Belgique)

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