CAPRA FRANK (1897-1991)
« Le plus grand de tous les réalisateurs américains. » C'est par ces mots simples que John Cassavetes qualifiait, en septembre 1991, Frank Capra, le réalisateur de La vie est belle (It's a Wonderful Life, 1946) qui venait de disparaître à l'âge de quatre-vingt-quatorze ans... Mots simples, mais aussi surprenants. Le cinéma de Cassavetes est fondé, sinon sur l'improvisation, du moins sur l'invention à l'instant même où la caméra se met à tourner après le fatidique « Moteur ! ». Au contraire, pour Capra, ses « films sont pratiquement terminés quand [il] pénètre sur le „set“ pour en donner le premier tour de manivelle ». « Il faut savoir faire un film avant de le commencer », déclare-t-il à Cinémonde, en juin 1946. Et, dans le même entretien, il insiste sur une idée que pourrait pourtant reprendre à son compte, un quart de siècle plus tard, l'auteur de Shadows et de Faces : « Un film tourné dans la ville des „stars“ ne sera plus toujours un produit strictement hollywoodien mais souvent, ce qui est très différent, un film „américain“ réalisé à Hollywood. La nuance est d'importance. » Lorsque Capra comprit qu'il ne pourrait plus faire des films « de Capra », après un stupéfiant Rendez-vous in Space, en 1964, un court-métrage qui nous redit pourtant qu'au temps de la conquête de l'espace la vie peut encore être belle, il se retira avec la dignité des grands, pour près de trente ans de silence...
Le cinéaste du New Deal
L'itinéraire de Frank Capra est celui d'un petit Sicilien né à Palerme le 18 mai 1897, fils d'un ramasseur d'oranges, arrivé aux États-Unis à l'âge de six ans et désireux d'avoir un jour, selon le titre original de son autobiographie, The Name above the Title (Le Nom au-dessus du titre). Après avoir travaillé pour pouvoir se payer des études de technologie en Californie, il engage un vieil acteur shakespearien en prétendant avoir une grande expérience du cinéma et réalise, en 1922, son premier court-métrage, Fultah Fisher's Boarding House, d'après un poème de Kipling. Au premier abord, son œuvre se caractérise par une grande diversité, même si son nom reste associé à un certain type de comédies, voire de drames, à caractère social et politique, mais aussi humaniste et utopique, dont l'esprit évoque très globalement la philosophie du New Deal rooseveltien.
D'abord gagman chez Hal Roach pour la série Our Gang (Les Petites Canailles), où il apprend également la technique cinématographique, il travaille pour Mack Sennett. C'est lui qui construit et parfait, à travers trois longs-métrages, le personnage d'innocent lunaire de Harry Langdon, considéré en 1925 comme un sérieux rival pour Buster Keaton et même Charlie Chaplin. S'il n'est crédité que comme scénariste de Plein les bottes (Tramp, Tramp, Tramp, 1926), il est pleinement le réalisateur de L'Athlète incomplet (The Strong Man, 1926) et de Sa Dernière Culotte (Long Pants, 1927). Le personnage de Langdon représente l'innocent, la victime malgré lui, celui sur lequel pleuvent des catastrophes qu'il n'a pas voulues, ni même imaginées. Celui qui est malchanceux, mais n'agit pas. S'il brise une vitrine, c'est juste parce qu'il voulait se débarrasser d'une brique qu'il jette négligemment par-dessus son épaule. Qu'y peut-il, si la vitrine se trouve, par hasard, sur cette trajectoire ? Pas grand-chose de plus que les futurs héros de Capra, Longfellow Deeds (L'Extravagant Monsieur Deeds), Jefferson Smith (Monsieur Smith au Sénat), John Doe (L'Homme de la rue), Georges Bailey (La vie est belle)... Le personnage de Capra qui ressemble le plus au Langdon qu'il avait façonné est peut-être le Clarence, de La vie est belle, cet ange de seconde classe qui cherche[...]
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Médias
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