CAPRA FRANK (1897-1991)
L'idéalisme américain en question
Interprétées par Gary Cooper, par James Stewart ou, plus tard, par Spencer Tracy, les comédies « populistes » de Capra offrent un même schéma : un naïf, qui croit fortement aux idéaux de la nation américaine, et se trouve plongé dans le monde de la corruption politique où il s'apprête à sombrer. Dans un ultime sursaut, il le rejette pour retrouver ses principes fondamentaux et sauver à la fois lui-même, la femme qu'il aime et l'Amérique. Si Capra est un cinéaste social, ses idées politiques ne sont pas celles d'un révolutionnaire. Il croit aux vertus de l'Amérique profonde et de l'individu. Mais il sait s'engager quand il le faut (il réalise les séries « Pourquoi nous combattons » et « Know Your Ennemy », entre 1942 et 1945). Il ne croit pas seulement en l'homme, mais dans les utopies qu'il est capable d'imaginer, à condition qu'elles ne mènent pas à une manipulation totalitaire : L'Homme de la rue (Meet John Doe, 1941), The Power of the Press (1928), The Miracle Woman (1931)... En 1946, il fonde, avec George Stevens et William Wyler, la compagnie Liberty films, qui emprunte son nom à la cloche de la guerre d'Indépendance qui battait à toute volée dans le générique de la série « Pourquoi nous combattons ».
Si Capra adhère à une certaine vision christique, on ne saurait identifier l'innocence supposée de ses héros à sa vision propre. L'univers visuel de Capra, celui de la screwball comedy, justement, pris dans un tourbillon de vitesse et d'action trépidante, laisse derrière lui tout repère. Pour y établir un peu de stabilité, le verbe est nécessaire : d'où la fonction des grands discours sur la démocratie, le bon voisinage, l'entraide, etc. C'est alors l'écart de plus en plus grand entre le verbe et l'image qui donne aux films leur force singulière. Mais si l'on fait abstraction du discours, l'image de l'Amérique selon Capra est terrifiante. Les mobiles initiaux des héros de L'Homme de la rue ou de La vie est belle sont d'abord l'argent et la vengeance. Les foules sont des masses susceptibles de suivre le premier démagogue venu que seules les prouesses des héros remettent dans le droit chemin. L'optimisme de Capra s'enracine ainsi sur un fond de pessimisme radical dont témoigne le nombre de candidats au suicide qui peuplent ses films. Le traditionnel happy end hollywoodien revêt ici une puissance étrange : plus il est artificiel, plus il doit provoquer une sorte d'acte de foi de la part du spectateur dans les valeurs américaines, faute de quoi il devrait accepter l'horreur et l'absurde qu'imposent les images. Rien d'étonnant à ce que deux films « exotiques » se détachent de l'œuvre de Capra. L'étrange joyau qu'est La Grande Muraille (The Bitter Tea of General Yen, 1933) montre le raffinement et la grandeur d'âme d'une autre civilisation, tandis qu'à la fin d'Horizons perdus (Lost Horizon, 1937) le héros américain n'a de cesse de quitter la civilisation pour retrouver Shandri-La, la vallée de bonheur et de paix éternels où l'on ne vieillit pas.
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Médias
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