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WEDEKIND FRANK (1864-1918)

La femme sans qualités

<it>Lulu</it>, de F. Wedekind, mise en scène de Stéphane Braunschweig - crédits : Elizabeth Carecchio/ Théâtre de la Colline

Lulu, de F. Wedekind, mise en scène de Stéphane Braunschweig

Avec Lulu (la première version, L'Esprit de la terre, « tragédie-monstre », 1895, sera suivie d'une structuration en deux parties, L'Esprit de la terre et La Boîte de Pandore, avant la réunification de celles-ci dans le drame en cinq actes de 1913), Wedekind est sur la piste de ce « grand art puissant » qu'il appelle de ses vœux et dans lequel il intègre les apports des arts mineurs. Wedekind se démarque du naturalisme, de Gerhart Hauptmann, qui représente l'avant-garde du moment, en travaillant ainsi à une démultiplication du jeu couplée avec une démultiplication de la conscience. Lulu, présentée par son dresseur supposé, dans le prologue, comme un bel animal, vrai, sauvage, tout en instinct, s'apparente bien plus à la danseuse de corde, en équilibre instable vers un devenir-soi qui vaudrait pour un devenir-monde. Elle demeure une projection des fantasmes masculins et des mythes qu'ils entretiennent sur la féminité, tant qu'elle n'a pas été reconnue dans son être-sujet : non pas la Femme en soi, mais une femme sans qualités, au sens où Musil allait entendre plus tard cette formule privative, lorsqu'il caractérise Ulrich, l'homme sans qualités comme « un monde de qualités sans homme ». La descente aux Enfers de Lulu, succédant à ses triomphes, ne relève pas alors du simple mélodrame, mais d'une assomption négative éclairant le fond terrible de l'existence : la sexualité, la condition féminine et ce qu'elle révèle de la condition masculine ouvrent alors sur la question sociale du pouvoir, de l'argent et bien entendu aussi sur la problématique de l'art.

Dans L'Élixir d'amour (1892), Wedekind entend justifier, par référence au cirque, un art physique, à travers lequel passerait l'individualité dans toute son « élasticité ». Dans Le Chanteur d'opéra (1897), il prend pour cible une âme de philistin gonflée par le succès, « un moucheron mille fois grossi », aux antipodes de tout combat authentiquement artistique. Le Marquis de Keith, dont la première eut lieu en 1901, met face à face, dans un milieu affairiste régnant sur le spectacle, deux don Quichotte, l'un voué au plaisir, l'autre à la morale. La dernière réplique, « la vie est un toboggan », fait peut-être de la chute le commencement de la sagesse, celle-ci fût-elle sans fond. Le Roi Nicolo (1902) met en lumière la bouffonnerie au cœur de la royauté : il s'agit moins d'une pièce politique, sans doute, que d'un drame symboliste du moi, recoupant la confession de l'artiste sur son art.

Dans Hidalla, ou Être et avoir (1904), rebaptisée Karl Hettmann ou le Géant nain en 1911, c'est l'éducation et l'émancipation féminines qui reviennent au premier plan, même si le réformateur Karl Hettmann, rêvant d'une amélioration de l'espèce, sombre dans une folie mi-tragique, mi-clownesque. Musique, tableau de mœurs (1906), La Censure, théodicée en un acte (1907), Oaha, la satire de la satire, comédie en quatre actes (1908), déclinent sous de multiples formes la question de la vie dans l'art ou la beauté – impliquant toujours celle de l'individu libre et créateur – au sein de la société moderne ou face à celle-ci. Avec La Pierre philosophale (1909), une invocation des esprits totalement versifiée, Wedekind, sous les traits de Basile, réapparaît comme un Faust tirant le bilan érotique aussi bien que philosophique de son magistère. En 1911, dans Franziska (intitulée d'abord Faustina) le personnage éponyme offre le double de ces aventures d'un point de vue féminin. De son côté, Le Château de Wetterstein (1910) propose d'étonnantes expérimentations.

Les dernières pièces de Wedekind – Samson, ou Honte et jalousie (1913) et Héraclès (1917) – font écho aux premières œuvres,[...]

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