Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

ZAPPA FRANK (1940-1993)

Frank Zappa - crédits : Evening Standard/ Hulton Archive/ Getty Images

Frank Zappa

En préférant la création musicale à la fabrication industrielle de hits, Frank Zappa offre, mieux que d'autres qui connurent un succès plus considérable, une image fidèle de la contre-culture des années 1960 et de ses étranges cheminements. Frank Zappa est né en 1940 à Baltimore. Ses origines franco-siciliennes et gréco-arabes le prédisposent à occuper une place inconfortable dans l'Amérique conservatrice qu'il tournera en dérision et dénoncera avec violence. Son amour de la provocation et du gag subversif comme manifestations d'une rébellion politique d'un genre nouveau se pressent dès son enfance, quand il met le feu à son école ou ridiculise son père employé dans une usine d'armement. Il vit d'expédients, mais c'est la musique qui le passionne — la batterie avant même la guitare — et tout change pour lui lorsqu'il découvre Varèse, Stravinski et Webern, ce qui l'engage plus fortement encore à fonder plusieurs combos successifs, auxquels il donne des noms bizarres. C'est avec les Mothers of Invention et l'album Freak out en 1966 — que suivront Absolutely Free, We're only in It for Money, Uncle Meat, Hot Rats — qu'il pénètre en force sur la scène musicale particulièrement effervescente à ce moment-là. Le style et le propos y créent une forme inédite de grotesque musical. Les concerts, proches du happening, au cours desquels, dans un chaos très savant, des armées de poupées se font massacrer, ou encore de fausses girafes éjaculent du faux sperme sur le vrai public ; le poster montrant Zappa à cheval sur une cuvette de W.C. : tout affiche une parenté éthique et esthétique avec Dada et les surréalistes, leur goût du collage et de l'insolence absurde et drôle. Zappa s'en prend autant aux puritains qu'à l'affairisme des gentils Beatles, aux Californiens bronzés (les Beach Boys) qu'au conformisme fleuri des hippies. Si la parodie est son genre de prédilection, sa musique nourrit des ambitions plus hautes : en explorant à la fois le jazz, la musique contemporaine et la pop, Zappa a refusé de faire du rock cette musique d'ameublement pour jeunes gens de la middle class qu'elle est pourtant devenue au cours des années 1970. Le film 200 Motels, tourné en 1971, excentrique dans sa technique (changement incessant des couleurs, projection simultanée de plusieurs scènes, préfiguration du morphing [traitement en accéléré de l'image], synchronisme des sons et des lumières, etc.), est encore de facture surréaliste. Plusieurs disques vont permettre à ce compositeur « transversal » et à cet extraordinaire guitariste soliste de jouer avec d'autres grands noms : instrumentistes, comme Jean-Luc Ponty, Ruth Underwood, Jack Bruce, George Duke, ou chanteurs, comme son vieil ami Captain Beefheart dans Bongo Fury (1975). Le succès de Zappa est alors très grand : l'album Apostrophe marque la période esthétiquement la plus maîtrisée et le plus beau moment commercial de l'artiste. Cela ne signifie pas que les disques postérieurs (Sheik Yerbouti, 1979 ; Shup up n' Play Yer Guitar, instrumental, 1981 ; etc.) soient dépourvus d'intérêt. Retenons au contraire le morceau Canard du jour comme l'illustration de l'esthétique syncrétique de Zappa : l'architecture rythmique y emprunte à la fois à l'électroacoustique, à la musique concrète, au jazz et au free, au rock underground comme à la musique indienne, au folk comme au Moyen-Orient.

Lorsque le cancer l'emporte, en 1993, Zappa, que boude toujours l'establishment américain, est revenu depuis quelques années déjà à ses premières amours, à Varèse et au contemporain Pierre Boulez. Il compose et s'efforce de poursuivre jusqu'au bout son rêve de fusion des musiques dans un spectacle total.

— Michel P. SCHMITT

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Média

Frank Zappa - crédits : Evening Standard/ Hulton Archive/ Getty Images

Frank Zappa

Autres références

  • CAPTAIN BEEFHEART (1941-2010)

    • Écrit par
    • 368 mots

    Musicien américain d'avant-garde, Captain Beefheart fut un chanteur, compositeur et instrumentiste de rock, de blues et de jazz innovant et excentrique. Faisant parti du groupe The Magic Band, à la configuration variable, il produisit durant les années 1960-1980 plusieurs albums qui, en dépit...

  • DUKE GEORGE (1946-2013)

    • Écrit par
    • 480 mots

    Au cours de sa carrière, longue de plus de quarante ans, l’Américain George Duke n’aura cessé de franchir les frontières entre le jazz, la soul et la pop music, que ce soit en tant que pianiste, claviériste, compositeur ou producteur. Avec d’autres comme Miles Davis ou le groupe Weather...

  • LES BEATLES - (repères chronologiques)

    • Écrit par
    • 344 mots

    7 juillet 1940 Ringo Starr (Richard Starkey) naît à Liverpool.

    9 octobre 1940 John Lennon (John Winston Lennon) naît à Liverpool.

    18 juin 1942 Paul McCartney (James Paul McCartney) naît à Liverpool.

    25 février 1943 George Harrison naît à Liverpool.

    4 et 11 septembre 1962 Les Beatles enregistrent...

  • PONTY JEAN-LUC (1942- )

    • Écrit par
    • 1 021 mots

    Les violonistes se sont invités en intrus au royaume du jazz. Pourtant bien présents dès l'origine, leur sonorité ténue peine à se faire entendre face à la puissance dominatrice des cuivres. Rares sont ceux qui ont réussi, sur les traces de Joe Venuti (1903-1978), d'Eddie South (1904-1962), de Stuff...