FRANTZ (F. Ozon)
Avec ses goûts hétéroclites, ses œuvres souvent brillantes, spectaculaires et toujours très variées, François Ozon – un des cinéastes français les plus populaires de la génération 1990 – divise la critique mais s’affirme comme un auteur éclectique du plus grand intérêt. En début de carrière, il a aimé choquer (Regarde la mer, 1997), puis a progressivement préféré jouer sur l’ambivalence (Sous le sable, 2001). Cet excellent directeur d’actrices, qui découvre Ludivine Sagnier, relance Charlotte Rampling et orchestre le show dramatique de Huit Femmes (2002), aime passer de la sobriété dramatique (Le Temps qui reste, 2005 ; un jeune homme superficiel apprend qu’il n’a plus que trois mois à vivre) au clinquant des paillettes (Angel, 2007 ; le portrait d’une exubérante romancière de l’époque victorienne). Il étonne aussi en choisissant des thèmes inouïs (l’enfant volant de Ricky, 2009 ; le jeune père travesti d’Une nouvelle amie, 2014). En fait, tous ses films exposent l’évolution intérieure de personnages mal assurés confrontés à la violence de situations monstrueuses qui, alors qu’elles auraient dû les écraser, les révèlent à eux-mêmes autant qu’aux autres.
Le récit d’Adrien
Tout aussi riche d’imaginaire, de secrets et de mensonges entrelacés, Frantz est adapté d’une pièce de Maurice Rostand, fils de l’écrivain Edmond Rostand, auteur dramatique, romancier et poète pacifiste engagé. Créé en 1930 à Paris, adapté en anglais dès l’année suivante, L’Homme quej’ai tué séduit Hollywood. Paramount confie la réalisation du film à Ernst Lubitsch dont BrokenLullaby(1931) sera la première œuvre dramatique. Les deux titres traduisent bien l’écart entre le récit original, écrit quasiment comme un policier, et sa transformation en mélodrame romantique. À cette trame, François Ozon ajoute une seconde partie totalement inventée, plus courte mais décisive, et construite en miroir par rapport à la première.
Frantz est l’absent : le jeune Allemand francophile – Frantz, orthographe française du prénom germanique Franz, matérialise d’emblée cette dualité – est mort au front et son ami français, Adrien, vient en 1919, dans une Allemagne vaincue et meurtrie, partager la douleur des parents et de sa fiancée Anna (Paula Beer). D’entrée, la fébrilité et l’extrême vulnérabilité qu’exprime le comédien Pierre Niney induisent la dissimulation. Mais de quel secret ? Peut-être celui d’une relation homosexuelle difficile à révéler, que suggèrent Rostand et Ozon. En fait, ce dernier met progressivement en place un suspense n’existant ni dans la pièce ni chez Lubitsch, qui présentaient tous deux l’histoire comme le récit que le jeune homme fait à un prêtre. Une scène que l’on retrouvera inversée dans la dernière partie du film, lorsque Anna ira à l’église confesser ses propres mensonges.
Le 35 millimètres noir et blanc très contrasté impose un certain temps le superbe classicisme compassé des apparences que les quelques images en couleurs (certaines vives, d’autres désaturées) vont ensuite s’ingénier à déconstruire – comme le récit initial et la complexité des caractères – pour atteindre la justesse des portraits psychologiques et la finesse de la description des sentiments contrariés. Anna est simple et pure, Adrien est fragile. Une idylle semble possible mais le « mentir-vrai », constante des personnages d’Ozon, empoisonne les relations autant que l’horreur du nationalisme qui suit la guerre. Face à la cause véritable de la mort de Frantz, tué par Adrien dans la boue des tranchées – un acte impossible à avouer –, que valent la fidélité au souvenir, la transmission, le déni, la lâcheté ou le pardon ? La sincérité elle-même échouera puisque Adrien, puis Anna, mentiront successivement aux parents de Frantz pour les préserver d’une vérité trop dure.[...]
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Écrit par
- René PRÉDAL : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen
Classification
Média