- 1. Le rôle de Max Brod
- 2. Une œuvre en mouvement
- 3. Tensions et contradictions
- 4. Prague, multilingue, multiculturelle et divisée
- 5. La question de l’identité
- 6. La nécessité d’écrire et l’invention d’un système
- 7. L’art et la vie
- 8. L’accomplissement progressif du récit dans l’écriture
- 9. L’œuvre de Kafka : réaliste, prophétique, fantastique ?
- 10. Bibliographie
KAFKA FRANZ (1883-1924)
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Prague, multilingue, multiculturelle et divisée
Le nom de Kafka reste donc lié à Prague. Mais dans cette capitale régionale multiculturelle et divisée de l’Empire austro-hongrois finissant, les langues et l’appartenance ethnique sont devenues des enjeux de pouvoir prépondérants, dont les écrits de Kafka ressuscitent l’écho, implicitement dans tout le corpus fictionnel, explicitement dans la Correspondance et le Journal. En mars 1917, sollicité par un patriote autrichien qui souhaite l’enrôler dans une entreprise artistique de rénovation nationale, Kafka répond qu’il n’est pas en état de « (se) représenter clairement ce que serait une « austrianité » (Österreichertum) unie dans l’esprit ». Le brouillon de cette lettre avoisine, dans un des petits carnets bleus qu’utilise l’écrivain à l’époque, le récit de la Construction de la Muraille de Chine, dont on dit que les fragments disjoints sont les fondements de la tour de Babel, symbole de la dispersion des langues.
Marek Nekula, bohémiste et éditeur de Kafka, rappelle à quel point les cultures et les langues de Prague – allemande, tchèque, juive – s’interpénètrent et sont en correspondance avec le monde bien au-delà des frontières de la ville. La langue de Kafka n’est pas un « allemand de ghetto », administratif et stérilisé ; elle est, sur le plan strictement linguistique, celle de ses contemporains germanophones d’Autriche, de Bohême et de Prague, l’allemand d’Autriche étant devenu la langue standard sur tout le territoire de la monarchie des Habsbourg.
Quant à l’allemand que Kafka transforme dans ses écrits littéraires en une langue d’apparence simple, épurée jusqu’à la transparence, il se distingue effectivement de celui des auteurs contemporains ; mais c’est à tort qu’on le met en relation avec ce prétendu isolement de l’idiome parlé à Prague pour le qualifier de pauvre et d’indigent. Il s’agit en réalité d’un choix sémantique conscient de la part de Kafka. Ce choix esthétique est tôt formulé dans sa correspondance avec son ami Oskar Pollak (1902, 1904), où le langage littéraire de l’époque, ornemental et « encombré de fioritures, voiles et grains de beauté », est dénoncé comme impropre à traduire une sensation vraie et à saisir les « choses » dans leur existence « belle et paisible », en dehors de la conscience d’un sujet dont le moi se perd dans les impressions et les sensations fugitives et dont l’identité n’est plus assurée. Cette double crise du langage et de l’identité entre en résonance avec les débats littéraires et philosophiques du début du XXe siècle, en particulier avec le Hugo von Hofmannsthal de la Lettre de Lord Chandos (1902), mais elle éveille aussi d’autres échos, qui sont à l’arrière-plan de l’œuvre historiquement située, et, en ce sens, éminemment pragoise de Kafka.
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Écrit par
- Claudine RABOIN : maître de conférences honoraire, université Paris Nanterre
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