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KAFKA FRANZ (1883-1924)

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L’art et la vie

Au cours de la nuit où il écrivit Le Verdict, Kafka s’est trouvé conforté dans sa vocation littéraire et dans la façon d’y satisfaire. Toutefois, il ne s’agit pas pour lui de s’abandonner complaisamment au flot des images qui se présentent à son imagination. Il dira bientôt que cette surabondance d'images est ce qui le fait désespérer de la littérature, à laquelle il assigne une plus haute tâche : « Le bonheur, je ne pourrai l'avoir que si je réussis à soulever le monde pour le faire entrer dans le vrai, le pur, l'immuable. » Mais le système d’écriture mis en place l’expose aux aléas du reflux de l’inspiration, qui rendent plus difficile l’écriture d’œuvres longues et créent une alternance de périodes fécondes et de périodes stériles, observable tout au long de sa carrière. Enfin, l’art s’oppose à la vie. Kafka ne se mariera pas, ne fondera pas de famille et sacrifiera toutes ses forces vives à la littérature, au rythme de sa vie de « grandes manœuvres » : travail au bureau de 8 h à 14 h, après-midi et début de soirée consacrés au repos, à la promenade, aux rencontres avec les amis ; puis travail littéraire jusqu’à une heure avancée de la nuit, dans le silence enfin retrouvé de l’appartement familial.

L’opposition entre l’art et la vie est un thème de l’époque – on songe à Thomas Mann –, mais la configuration littéraire qui se met en place chez Kafka prend un tour différent. Les exigences de la littérature transforment bientôt l'écrivain pragois en un vivant parmi les morts, souvent figuré dans les récits par une créature qui erre à la frontière entre deux mondes, comme Le Gardien du tombeau ou Le Chasseur Gracchus, dont Kafka ne parviendra jamais à terminer les histoires sans cesse remises sur le métier dans les Carnets bleus de 1916-1917.

La littérature ainsi comprise est une expérience vécue, et l’œuvre de Kafka est riche de ces personnages qui, par un simple détail de leur fonction (messager, courrier, fonctionnaire) ou de leurs attributs (dossiers, papiers, lettres), rappellent l’écrivain, fréquemment portraituré en artiste ou en saltimbanque, comme dans Joséphine, la cantatrice ou dans Un virtuose de la faim, lequel donne son titre au recueil publié en 1924. Si Le Terrier, écrit à l’hiver 1923-1924, fait le bilan existentiel du ressenti intime de l’écrivain lové dans son œuvre, avec l’angoisse de la mort qui rôde, le dernier et ultime récit porte un titre double – Joséphine, la cantatrice ou le Peuple des souris – qui, comme Max Brod l’avait compris le premier, attire l’attention sur la situation de l’écrivain juif de Prague à une époque dangereuse pour son peuple.

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Écrit par

  • : maître de conférences honoraire, université Paris Nanterre

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