MASEREEL FRANZ (1889-1972)
Flamand de naissance et de tempérament (né à Blankenberghe, il fait ses études à l'Académie de Gand) mais Européen par vocation (ce qui explique ses séjours en Angleterre, en Allemagne, en Suisse, en Russie, son attachement à la France — il travaille surtout à Paris avant de se fixer à Nice, où il est mort), collaborateur et ami de Romain Rolland, de Verhaeren, de Stefan Zweig, de Barbusse, illustrateur de Victor Hugo, de Charles de Coster, de Walt Whitman, de Tolstoï, de Tagore, de Vildrac, de Maeterlinck, de Duhamel, d'Oscar Wilde, d'Auguste Vermeylen, de Montherlant, « ce grand bougre au cœur tendre », énorme producteur d'images sociales et politiques gravées sur bois, cet homme de gauche profondément engagé sur le front pacifiste — ne déclara-t-il pas un jour : « Je ne suis pas assez esthète pour me sentir satisfait de n'être qu'un artiste » — peut être tenu comme l'un des plus brillants rénovateurs occidentaux de la xylographie durant la première moitié du xxe siècle. Sans doute, au niveau de la communication, a-t-il, selon ses propres termes, « trouvé dans la gravure ce qu'[il] cherchait pour parler à des milliers d'hommes » (cent mille exemplaires d'une édition populaire des Vingt-Cinq Images de la passion d'un homme, gravées en 1918, furent vendues en Allemagne avant le raz de marée nazi). Mais c'est au niveau du langage plastique, dans la mise en place d'une substance très neuve dans le domaine de l'expression, c'est-à-dire dans le fonctionnement inédit du signifiant noir-blanc comme structure minimale (et non plus, comme dans la xylographie occidentale telle qu'elle fut traitée depuis le xve siècle, dans le noir de la taille d'épargne fonctionnant comme signe sur le blanc du fond, autonome, négatif) qu'il faut mesurer la portée historique, le niveau, l'originalité de la démarche de Masereel, compte tenu du fait qu'elle a probablement pris son départ dans les travaux sur bois qui sont à la base du mouvement expressionniste allemand animé par le groupe Die Brücke (1906-1913). C'est peut-être, parmi tant d'images fortes et suggestives, dans le recueil de cent soixante-sept xylographies, intitulé en 1919 Mon Livre d'heures (édition allemande, en 1920, sous le titre Mein Stundenbuch), où les planches se déroulent comme un film muet, sans texte, que culmine la pure dialectique du blanc (étincelant) et du noir (sonore), que se joue le drame (sec, tranché, aigu, sans nuance) de la plastique, le drame d'une époque et le drame d'un homme hanté par les perspectives frustrantes de la mégalopolis.
Au regard de la qualité et de l'épaisseur sémantiques de l'œuvre gravé (et dessiné), il faut bien admettre que l'œuvre peint de Masereel est pratiquement dépourvu de signification. En revanche, sa collaboration avec Abel Gance mériterait d'être étudiée, éclairée : on y retrouverait sans doute le sens de l'ellipse, du gros plan et du mouvement qui traverse, toujours, l'œuvre xylographié.
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Écrit par
- Robert L. DELEVOY : directeur de l'École nationale supérieure d'architecture et des arts visuels, Bruxelles
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