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SCHUBERT FRANZ (1797-1828)

« Voulais-je chanter l'amour, cela m'entraînait à la douleur ; voulais-je chanter la douleur, cela me menait à l'amour » (Schubert, 1822). Schubert ou le paradoxe. La proposition est peut-être inattendue ; à y regarder de près, c'est sans doute celle qui s'attache le plus sérieusement à lui dans la perception que l'on peut avoir de sa vie, de son œuvre et de sa légende.

Pur produit d'un univers clos, fils et prisonnier d'une ville (Vienne) où il naquit et mourut sans presque jamais la quitter, il n'en est pas moins, tant par sa vie que par son œuvre, le parfait symbole du « voyageur » romantique. Constamment mis en échec dans toutes ses tentatives d'insertion sociale, il est, dégagé de toute fonction servile, le premier des musiciens à n'avoir pour unique statut que celui de compositeur. Ignoré de son époque, il est l'ami des meilleurs parmi les Autrichiens de sa génération (Grillparzer et Bauernfeld pour la littérature, Schwind et Kupelwieser pour la peinture). Fils d'instituteur, il devient, par le pouvoir de sa musique, l'égal des maîtres qu'il vénère (Goethe, Schiller, Heine). Méconnu en tant que compositeur par ses contemporains, pratiquement jamais joué, très peu édité, il n'en laisse pas moins à sa mort un catalogue considérable d'œuvres (998 numéros). Cependant, nul comme lui n'a été le musicien de l'« inachevé », élevant cette catégorie jusqu'au mythe esthétique. Libre de toute contrainte, il bouscule les formes musicales, impose des œuvres brèves nées de l'instant-improvisation (Impromptus, Moments musicaux) au moment même où il élargit le temps musical pour devenir le musicien de ces « célestes longueurs » (Grande Symphonie en ut) qui laisseront Schumann admiratif et médusé. Inspirateur d'un groupe amical et culturel qui se nourrit de lui au point de prendre son nom pour enseigne de ses réunions régulières (les « schubertiades »), il en reste un des membres les plus modestes. Le joyeux compagnon vit en réalité dans la confrontation quotidienne avec la mort, l'ami naïf est un « clairvoyant » (ainsi que le nomment ses intimes) aux intuitions musicales fulgurantes et prophétiques.

Une fécondité inquiète

À dix-sept ans, avec la composition de Marguerite au rouet (Gretchen am Spinnrade), Schubert marque d'un sceau indélébile l'histoire de la musique, mais à trente et un ans, quinze jours avant sa mort, il commence à prendre des leçons de contrepoint. On dirait qu'il éprouve le besoin de se rassurer sur son identité de musicien ; cinq messes, une dizaine de symphonies, une œuvre très importante de musique de chambre (trios et quatuors), de multiples compositions pour le piano (à quatre ou à deux mains), etc., et surtout le massif de ses six cents lieder, ne suffisent pas à l'authentifier à ses propres yeux. Sans parler de la vingtaine de tentatives pour l'opéra, objet constant d'espoir et d'échec, qui jalonnent sa vie de créateur, Schubert a-t-il jamais eu conscience de l'immensité (numérique) de son œuvre ? Se rappelle-t-il seulement au terme de sa vie qu'il lui est arrivé au cours de deux de ses années d'adolescence (1815-1816) de composer plus que tels compositeurs leur vie durant ? Trois messes, quatre symphonies, six essais d'opéra, deux cent quarante-trois lieder. Contrairement à certains de ses prédécesseurs (Bach, Mozart, Beethoven) il n'a jamais tenté de tenir un compte de ses productions ; il eût fallu pour cela qu'il se prît au sérieux ou que le monde autour de lui le prît au sérieux.

Vienne, à l'époque du congrès « qui danse », livrée à la fièvre italienne de Rossini, puis à l'engouement de la musique-divertissement, pouvait-elle prêter attention au jeune musicien qui se voulait « un chantre allemand », grandi à l'ombre[...]

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