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SCHUBERT FRANZ (1797-1828)

L'univers des lieder

S'il est possible, dans le double domaine de la musique de chambre et de la symphonie, de tracer une histoire de l'évolution du style de Schubert, de noter les étapes de l'apprentissage qui mène à une exemplaire maturité, il en va tout autrement dans le domaine du lied. Des premiers lieder, à la forme lâche qui laisse courir l'imagination débridée, à l'extrême concision des derniers, de la grande ballade composée de bout en bout ou du lied tripartite au lied purement strophique ou encore strophique varié, en tous les temps, sous toutes les formes, le lied est présent dans la création schubertienne : des premiers essais de 1811 au Pâtre sur le rocher (Der Hirt auf dem Felsen), sa dernière œuvre, en octobre 1828. Les années les plus creuses en ce domaine, 1821 ou 1824, comptent encore une dizaine de lieder ; l'année la plus folle, 1815, en compte 143. Le phénomène est si impressionnant qu'il aurait suffi à assurer à Schubert, sans qu'il écrive jamais autre chose, une juste place dans l'histoire de la musique. Mais il est plus étrange encore lorsqu'on constate que Schubert, dans ce domaine très précis, atteint d'emblée ou presque le sommet de son génie. Si Le Sosie (Der Doppelgänger) est composé à trente et un ans, Le Voyage d'hiver à trente ans, La Belle Meunière et Le Nain (Der Zwerg) à vingt-six ans, Le Roi des aulnes (Erlkönig) est écrit à dix-huit ans et Marguerite au rouet à dix-sept ans, et les deux œuvres sont si marquées du génie schubertien qu'elles en sont devenues le symbole. Dès cette époque l'adolescent Schubert a porté à sa perfection un genre musical que personne avant lui n'avait exploité.

Une sensibilité frémissante, une excellente culture musicale et une enfance vouée au chant, un cercle d'amis éveillés à la poésie sont autant de raisons personnelles qui ont pu concourir à fixer Schubert sur le lied. Sur un plan caractériel, ce choix flatte aussi sa timidité et sa pudeur essentielle. Composer la musique qui accompagne un poème, c'est se mettre au service d'un texte : une manière de dire « je » sous le couvert d'autrui. La nécessité du duo dans le lied (chanteur et accompagnateur) le rassure en lui évitant la difficile confrontation avec soi-même que suppose toute œuvre pour soliste. À celle-ci Schubert ne parvient que plus tard (par le piano) ; mais pas une fois de sa vie il ne s'est produit comme exécutant soliste et, sauf en de rares occasions, l'esprit de virtuosité dans la composition lui est resté étranger (la représentation minime du genre concertant dans son œuvre en est un signe).

Par ailleurs, la société de son temps et de son pays, aux valeurs perturbées, aux remises en question douloureuses, requiert aussi ce recours à la poésie, délivrance et refuge. Elle est souvent médium de la connaissance du monde pour toute la jeune génération germanique ; c'est aussi vrai à Berlin qu'à Vienne. Dans ce sens, la création ou l'exploitation d'une poésie allemande prend une signification très précise d'affirmation d'une germanité contestée. La couleur intimiste du lied, son essence communautaire, la recherche en finesse d'une adéquation du langage parlé et du langage musical correspondent également à l'univers clos de petites sociétés chaleureuses et éprises de culture qui entendent trouver en elles-mêmes les clés de la connaissance en dépit d'un monde hostile.

Au gré de quinze années de confrontation avec le genre du lied, Schubert a utilisé les écrits d'une centaine de poètes. Quelques-uns se détachent, qui l'ont attiré tout particulièrement : le sombre dramatisme de son ami Mayrhofer (47 lieder), le courage et la bravoure de Schiller (42 lieder), la vision cosmique goethéenne vécue comme une expérience salvatrice (70 lieder), la plongée[...]

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