MESSERSCHMIDT FRANZ XAVER (1736-1783)
Pour bien comprendre l'originalité du sculpteur germano-autrichien Franz Xaver Messerschmidt (1736-1783), il convient de replacer son œuvre dans le contexte des préoccupations de l'époque. C'était le temps où, à travers la physiognomonie, Johann Kaspar Lavater se faisait fort de discerner les liens unissant aspects du visage et traits de caractère, tandis que Franz Joseph Gall prétendait localiser grâce à la phrénologie – études des aspérités du crâne – les différentes fonctions de l'activité cérébrale. Ces rapports avaient été supposés depuis l'Antiquité, avec Aristote qu'on dit avoir été le premier à opérer ce type de rapprochement. À l'époque des Lumières, les grands pourfendeurs de cette théorie sont ceux qui prônent l'intelligence tant intuitive, avec Georg Christoph Lichtenberg, que systématique et spéculative, avec Hegel.
Dans le cas de Messerschmidt, l'affaire se compliquait d'une affaire de raison et de déraison. Le sculpteur classique maître de ses moyens avait-il perdu la raison en affligeant ses sculptures de mimiques extravagantes, ou bien avait-il voulu établir un catalogue d'expressions répondant à des stimuli internes ou externes ? En 2011, le musée du Louvre à Paris présenta une exposition monographique qui faisait état de l'avancée des recherches sur l'œuvre de ce sculpteur hors norme.
Né Franciscus Xaverius Messerschmidt en 1736 à Wiesensteig, dans le Jura souabe qui fait alors partie de la Bavière, il mène des études à l'Académie des beaux-arts de Vienne et, en 1765, effectue le traditionnel séjour des artistes germaniques à Rome. Messerschmidt est nommé professeur adjoint à l'Académie des beaux-arts d'Autriche en 1769. Apprécié de l'archiduchesse Marie-Thérèse d'Autriche (bronze doré de 1760), l'artiste va occuper la place d'un quasi sculpteur de cour. Il exécute des portraits du couple impérial, de personnalités de la cour, d'intellectuels et de médecins viennois (Franz Anton Mesmer, Gerard Van Swieten). Son style est alors réaliste et épuré. Les bustes de ses modèles sont systématiquement présentés frontalement, sans épaules, les traits symétriques et le cou se terminant en pointe.
C'est à partir de 1771 qu'apparaissent des bronzes présentant des traits caricaturaux. Rappelons qu'au-delà d'une tendance idiosyncrasique, que certains ont pu considérer chez lui comme un suicide artistique, la caricature revêt au xviiie siècle une importance qui la situe aux confins du grand art, ce dont témoigne l'importance d'un Hogarth en Angleterre. Ce sont ces têtes grotesques, dites « têtes de caractère », dont se souviendra paradoxalement la postérité. N'eût-il été que le sculpteur virtuose de ses premières œuvres, il ne retiendrait guère que l'attention de quelques historiens de l'art très spécialisés. C'est un article écrit par l'historien d'art freudien Ernst Kris publié en 1932 (traduit en 1979 dans L'Image de l'artiste, avec pour coauteur Otto Kurz) qui fondera la notoriété internationale de Messerschmidt. S'autorisant de l'interprétation psychanalytique de documents et d'œuvres d'art qu'avait pratiquée Freud, il diagnostique la pathologie psychique dont souffre Messerschmidt à partir des « têtes de caractère » qui ont été en grande partie conservées et de la relation d'une visite en 1781 à l'artiste par l'homme de lettres Friedrich Nicolai, partiellement traduite pour la première fois dans le catalogue de l'exposition du musée du Louvre : « ... Il se pinçait, faisait des grimaces devant le miroir et croyait que sa façon de maîtriser les esprits avait les effets les plus admirables. Heureux d'avoir découvert ce système, il avait décidé de le transcrire, en reproduisant ces proportions grimaçantes et de les transmettre à la postérité.[...]
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Écrit par
- Jean-François POIRIER : écrivain et historien d'art
Classification
Média