FRATICELLES
L'appellation de fraticelles, de l'italien fraticelli, désigne les dissidents les plus radicaux de la faction dite « spirituelle » qui, dans l'ordre franciscain, oppose à l'aile conventuelle ou orthodoxe la volonté de pratiquer la pauvreté volontaire selon la règle intangible de saint François. Bien que, dans sa condamnation, Jean XXII applique le terme à l'ensemble des spirituels, ceux-ci n'ont jamais manqué d'attaquer vivement les idées du Libre-Esprit qui séduisent bon nombre de fraticelles, à vrai dire plus proches des bégards et des apostoliques, avec lesquels ils sont parfois confondus. Leur origine s'explique par la lutte de tendances qui déchire l'ordre après la mort de François d'Assise, par la vogue du millénarisme joachimite et par les progrès, parmi les plus déshérités, d'une pratique de type libertaire où est exaltée la liberté de nature.
Le parti des spirituels, respectueux à la lettre des directives franciscaines, prône la pauvreté absolue et le refus de toute propriété, thèses qui vont à l'encontre de l'enrichissement croissant de l'Église. Trois personnalités mènent le combat contre la politique pontificale : Ange Clareno (Pierre de Fossombrone), Pierre-Jean Olivi et Ubertin de Casale. Après un exil en Arménie (1290-1293), un groupe autonome, dirigé par le frère Libérat (Pierre de Macerata) et par Ange de Clareno, obtient la protection du pape Célestin V. Il forme en 1294 les Pauperes heremitae domini Caelestini. En revanche, le successeur de Célestin, Boniface VIII, se montre hostile à une communauté dont l'attitude rappelle celle des vaudois. Libérat et ses adeptes se réfugient en Achaïe, puis en Thessalie. À la mort de Libérat, Ange Clareno prend la direction des spirituels et rentre en Italie. Sur les conseils d'Arnaud de Villeneuve, partisan des spirituels, le pape Clément V va tenter de réconcilier les deux tendances du franciscanisme. Ubertin de Casale, chef des spirituels de Toscane, se rend en Avignon afin d'y affronter les responsables conventuels, Bonagrazia de Bergame et Raymond de Fronsac. La conciliation échoue. Il n'est pas inutile de rappeler que, peu de temps auparavant, Ubertin a sévi, comme inquisiteur, contre des partisans du Libre-Esprit de la région de Spolète, où les fraticelles sont nombreux. De même, Arnaud de Villeneuve a vivement condamné une doctrine qui semble n'avoir pas laissé indifférents certains spirituels.
L'accession de Jean XXII au siège pontifical donne le signal d'une répression qui n'hésitera pas à amalgamer spirituels, fraticelles, apostoliques, bégards et tenants du Libre-Esprit, condamnés par le concile de Vienne en 1311. Le pape prie instamment les souverains chez qui les spirituels ont cherché refuge de les expulser sans délai comme hérétiques. La bulle Sancta Romana les désigne, pour la première fois, sous la dénomination officielle de fraticelles. Arrêté en Avignon puis libéré, Ange Clareno part précipitamment pour l'Italie, où il entreprend, en 1318, de restaurer la dissidence. Dans la querelle engagée sur la pauvreté réelle ou fictive du Christ et de ses disciples, Ange Clareno reçoit un appui important du ministre général de l'ordre franciscain, Michel de Césène qui, au chapitre de Pérouse (1322), tient pour dogme la thèse de l'absolu dénuement du Christ et des Apôtres. C'était heurter de front les intérêts économiques de l'Église, engagée dans le développement d'un capitalisme qui succédait peu à peu au mode de production agraire.
Jean XXII réagit par une double manœuvre. Alors que François d'Assise avait prescrit que le Saint-Siège détînt les biens meubles de l'ordre, le pape en remit la gestion aux Frères mineurs, les transformant ainsi en propriétaires. D'autre part, sa bulle du 12 novembre 1323 [...]
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Écrit par
- Raoul VANEIGEM : écrivain
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