FRAUDE SCIENTIFIQUE
L'idée même que des scientifiques puissent frauder était presque impensable jusqu'aux années 1970. Un observateur aussi perspicace que Robert King Merton, un des pionniers de la sociologie des sciences, écrivait ainsi en 1942 que les fraudes sont « quasi absentes dans les annales de la science ». Le grand public, tout autant que les milieux scientifiques, était convaincu que la science était une activité noble et désintéressée, mue par la seule recherche de la vérité, dans laquelle les tricheries ne sauraient avoir place. Cette confiance a prioriaccordée aux scientifiques, perçus comme des êtres vertueux, s’étiole aux États-Unis dans les années 1970 lorsque l'opinion américaine découvre avec effroi que des chercheurs (tels l'immunologiste William Summerlin, l'oncologue Elias Alsabti, le biologiste cellulaire Mark Spektor ou le cardiologue John Darsee, pour ne citer que les affaires les plus retentissantes) ont inventé de toutes pièces les données de leurs articles, dans le seul but d'accélérer leur carrière.
Les années 2000 ont été marquées par une nouvelle succession de scandales liés à des fraudes scientifiques. Les faits – des fabrications ou des falsifications de données – sont les mêmes que durant la première vague des années 1970, mais l'ampleur des fraudes, la variété des disciplines affectées, le prestige des revues ayant publié ces travaux fallacieux et enfin le nombre de pays concernés sont d'une tout autre ampleur. Évoquons brièvement cinq de ces affaires les plus emblématiques.
Une succession de scandales
L'Allemand Jan Hendrik Schön était un spécialiste de la physique de la matière condensée. Après un brillant doctorat à l'université de Constance, il est directement recruté par les prestigieux Bell Labs aux États-Unis. Il y travaille sur la substitution dans les semi-conducteurs du silicium par des matériaux cristallins organiques et semble montrer que ces matériaux peuvent être utilisés pour la fabrication de transistors. Nature et Science se disputent ses innombrables articles. Mais plusieurs physiciens observent que certaines des courbes qu'il publie se ressemblent étrangement d'un article à l'autre. En septembre 2002, les Bell Labs constituent un comité d'enquête sur le travail de Schön. On découvre rapidement que le physicien inventait ses résultats en utilisant des fonctions mathématiques générant des résultats plausibles à des expériences qu'il ne menait jamais. À ce jour, 17 articles de Schön ont été rétractés, ce qui revient à les effacer de la littérature scientifique.
Peu après le scandale Schön, le premier concernant la physique, le biologiste sud-coréen Hwang Woo-suk publie en 2004 dans Science deux articles annonçant des découvertes spectaculaires dans le domaine du clonage thérapeutique humain. L'équipe du chercheur affirme avoir, pour la première fois, cloné un embryon humain pour en obtenir des lignées de cellules souches indispensables à la médecine régénérative. Ces travaux font la une des médias internationaux. Mais un des collaborateurs américains de Hwang l'accuse de n'avoir pas expliqué aux jeunes femmes à qui il prélevait les ovules nécessaires le but de ses recherches. De cette violation des règles éthiques naît une suspicion. On se penche sur les publications de Hwang, on dissèque ses graphes et ses clichés, et la fraude semble de plus en plus manifeste. En décembre 2005, Hwang reconnaît de nombreuses malversations. Ses deux articles sur le clonage humain sont rétractés de Science.
Le Néerlandais Diederik Stapel, spécialiste de psychologie sociale, a quant à lui été contraint, en 2011, de rétracter 55 de ses 130 articles. Ses travaux portaient sur la genèse des stéréotypes sociaux. L'enquête menée, suite à une dénonciation de collègues, par l'université de Tilburg (Pays-Bas)[...]
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Écrit par
- Nicolas CHEVASSUS-au-LOUIS : docteur en biologie, journaliste
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