FRAUDE SCIENTIFIQUE
L'embellissement des données
Il est important de souligner la continuité entre la fraude caractérisée et ces petits arrangements quotidiens avec les données expérimentales, très répandus dans les laboratoires. Ces derniers peuvent s'expliquer par la volonté d'un chercheur d'obtenir un résultat dont il a l'intuition sous une forme particulièrement aboutie. Deux exemples historiques classiques de ces embellissements de données sont ceux de Gregor Mendel (1822-1884) dans son travail fondateur de la génétique moderne sur les petits pois et Robert A. Millikan (1868-1953) dans sa détermination expérimentale de la charge électrique élémentaire. Ils peuvent aussi procéder du besoin, plus ou moins inconscient, de confirmer un résultat qui passe pour établi, surtout si son découvreur a été auréolé par un prix prestigieux.
Ce « cuisinage des données », selon le terme qu'employait le mathématicien Charles Babbage il y a près de deux siècles, a une longue histoire. Mais l'évolution technologique l'a rendu de plus en plus simple, et donc de plus en plus tentant. La biologie cellulaire en offre un exemple intéressant. Dans cette discipline, les images tiennent souvent lieu de preuves. Depuis que, au cours des années 2000, la photographie numérique s'est imposée dans les laboratoires, il est devenu extrêmement simple d'arranger les clichés avec des logiciels. Le Journal of CellBiology, une des revues les plus respectées du domaine, a constaté que le quart des manuscrits qui lui étaient soumis comprenait des images arrangées, embellies, manipulées d'une manière ou d'une autre. « Le problème principal est que les scientifiques ne prennent pas le temps de comprendre les outils complexes qui leur permettent d'obtenir leurs données, et semblent parfois être dupes de la facilité avec laquelle les logiciels de retouche d'images permettent de manipuler les données. L'intention n'est en général pas de tromper, mais de rendre l'histoire qu'ils racontent plus frappante en présentant des données parlantes, sélectionnées ou simplifiées » observait à ce sujet un éditorial de Nature CellBiology.
Un autre exemple intéressant de cette fréquence du cuisinage des données est l'accroissement du nombre de résultats significatifs rapporté par la littérature scientifique. Par convention, un résultat est présumé significatif lorsque l'on peut calculer que la probabilité p qu'il soit lié au hasard est inférieure à 0,05, soit une chance sur vingt. Avant l'apparition des micro-ordinateurs, le calcul de p se faisait à l'aide de tables listant, pour les différentes proportions possibles de valeurs expérimentales, les intervalles de p correspondants. Aujourd'hui, on n'obtient plus un intervalle mais la valeur précise de p à plusieurs décimales près. Il en devient très simple d'enlever quelques valeurs obtenues expérimentalement pour faire passer p sous le seuil de 0,05. L'analyse des publications de revues spécialisées en psychologie expérimentale montre par exemple un pic très net, et statistiquement tout à fait improbable, de valeurs de p comprises entre 0,04875 et 0,05000, qui incite fortement à penser que les données ont été arrangées pour passer juste sous le seuil fatidique.
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Écrit par
- Nicolas CHEVASSUS-au-LOUIS : docteur en biologie, journaliste
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