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FRAUDE SCIENTIFIQUE

Conséquences de la fraude

La fraude scientifique est un gaspillage manifeste d'argent public. Entre 1992 et 2012, pas moins de 2,3 milliards de dollars (valeur 2012), soit un peu moins de 1 % des budgets, ont été attribués par les NIH à des projets ayant débouché sur la rétractation d'au moins un article pour fraude. Il faudrait de surcroît comptabiliser les coûts indirects de la fraude : temps perdu à tenter de refaire les expériences frauduleuses publiées durant les quelque trois ans et demi qui s'écoulent, en moyenne, entre la sortie d'une publication frauduleuse et sa rétractation ; temps et argent nécessaires pour démontrer la fraude, ce qui mobilise des experts pendant plusieurs mois ; temps perdu par les étudiants ayant travaillé sous la direction d'un fraudeur. Dans un seul cas, ces coûts indirects ont été quantifiés : la manipulation des images dans plusieurs publications d'un chercheur en oncologie du Roswell Park Cancer Institute (États-Unis) a au total coûté à l'institution quelque 525 000 dollars.

Ces évaluations économiques ont le mérite du pragmatisme. Elles ne peuvent cependant rendre compte de la déstabilisation de l'ensemble de l'édifice scientifique qu'entraîne la fraude. Nombre d'articles frauduleux restent accessibles en ligne et continuent donc à être cités. Soit qu'ils aient été reconnus frauduleux par une enquête, mais qu'ils n'aient pas été rétractés par les auteurs. Soit qu'ils aient été rétractés mais que la rétractation n'ait pas été enregistrée par l'éditeur de la revue. Soit qu'elle ait été signalée mais que l'auteur qui cite l'étude l'ignore. Il est ainsi impossible, en consultant les bases de données spécialisées, d'être informé d'un bon tiers des rétractations. Elles ont été publiées dans l'édition papier de la revue, mais les bases de données, qu'utilisent au quotidien les chercheurs pour leurs recherches bibliographiques, ne les mentionnent pas. C'est ce qui explique que des articles rétractés soient très couramment cités longtemps après leur rétractation. La littérature scientifique, du moins dans le domaine biomédical, est minée par ces articles frauduleux.

Enfin, la fraude dans le domaine biomédical a des conséquences potentiellement graves sur la santé humaine. Entre 2000 et 2010, 6 573 patients ont reçu aux États-Unis des traitements expérimentaux lors d' essais cliniques ultérieurement rétractés pour fraude, et environ deux fois plus ont été impliqués d'une manière ou d'une autre (soit comme volontaire sain, soit comme patient recevant un placebo) dans ces études. Dans au moins un cas, il a pu être établi que la fraude était à l'origine de décès de patients : le cas des études du médecin anesthésiste allemand Joachim Boldt, dont une commission d'enquête a demandé en 2012 la rétractation pour fraude de quelque 90 articles portant sur l'utilisation des hydroxyéthylamidons, produits qui gonflent le volume sanguin, permettant ainsi de compenser les effets des hémorragies dans le traitement des états de choc. La toxicité des hydroxyéthylamidons pour le rein était bien connue, mais les travaux de Boldt soutenaient que le risque valait la peine d'être pris. C'est en se fondant sur ces travaux que les hydroxyéthylamidons ont été utilisés par les réanimateurs, causant 200 à 300 décès évitables chaque année dans le seul Royaume-Uni.

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Exemple d’un article frauduleux rétracté - crédits : Reprinted with permission from Elsevier (The Lancet, 1998, Vol 351, page 637)

Exemple d’un article frauduleux rétracté

Évolution dans le temps des fraudes scientifiques - crédits : Encyclopædia Universalis France

Évolution dans le temps des fraudes scientifiques

Lien entre difficultés de financement et fraude - crédits : Encyclopædia Universalis France

Lien entre difficultés de financement et fraude

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