FRAUDE SCIENTIFIQUE
Comment combattre la fraude scientifique ?
Les retentissants scandales de fraude scientifique des années 1970 et 1980 sont à l'origine de la création en 1989 par la National Science Foundation, principale agence de financement de la recherche américaine, de l’Office of Inspector General chargé d'instruire et éventuellement de sanctionner les allégations de fraude. La même année, les NIH se dotent de l’Office of Scientific Integrity, qui devient en 1992 l'Office for Research Integrity (ORI).Pour la première fois au monde, des instances indépendantes sont chargées d'instruire les affaires de manquements à l'intégrité scientifique (définis comme les fabrications, les falsifications et les plagiats de données) dont l’instruction était jusqu’alors laissée à l'initiative des laboratoires. Elles agissent dans le cadre des lois fédérales encadrant l'utilisation des fonds publics. Aux États-Unis, la fraude scientifique est ainsi considérée, d'un point de vue juridique, comme une forme de détournement de fonds, mais sans bénéfice personnel.
En ordre dispersé, les pays européens se sont à leur tour dotés d'institutions spécialisées dans la prévention et l'instruction des fraudes. Le Danemark a été le premier à créer, en 1992, un Comité de lutte contre la malhonnêteté scientifique. Fait remarquable, cette initiative a été prise alors même qu'aucune affaire de fraude n'avait éclaté dans ce pays. Présidé par un juge, le Comité suit la logique américaine consistant à appliquer au cas particulier de la fraude scientifique les lois du pays, en particulier celles portant sur l'utilisation des fonds publics. La Norvège et la Suisse suivent également cette approche. En Allemagne, la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG) principale agence de financement de la recherche, s'est dotée en 1999 d'un Bureau de l'ombudsman chargé de traiter les accusations de fraude. L'approche allemande ne fait pas appel à la loi, mais à une codification interne à la DFG qui définit les manquements à l'intégrité scientifique ainsi que les procédures d'enquête et prévoit les différentes sanctions possibles. Le Royaume-Uni a développé pour sa part, à partir de 1998, un système plus décentralisé encore. Chacun des sept Research Councils, organisé autour d'un champ disciplinaire, a adopté son propre code. Enfin, en France, ce sont les organismes de recherche (l' I.NSERM d'abord en 1999, puis l'Institut Pasteur, le CNRS, l'INRA et quelques universités) qui se sont progressivement dotés d'un bureau chargé d’instruire, à l'aide de procédures internes, les allégations de fraude, mais aussi les conflits, de plus en plus fréquents, survenant entre auteurs concernant l'ordre des signatures d'un article. La plupart des pays scientifiquement développés ont donc, au cours des décennies 1990 et 2000, élaboré un système institutionnel de lutte contre la fraude scientifique. Cette diversité des approches nationales a entraîné un besoin d'échange d'expériences, qui s'est traduit par l'organisation de conférences mondiales sur l'intégrité dans la recherche : à Lisbonne en 2007, Singapour en 2010, Montréal en 2013, Rio en 2015.
Ces guichets uniques chargés de traiter les allégations de fraude offrent aux chercheurs témoins, dans leurs laboratoires, de manquements à l'intégrité scientifique la possibilité de les signaler. Ils proposent des procédures écrites, codifiées, pour les instruire, ce qui permet de lutter contre la tendance spontanée du monde scientifique à résoudre ces problèmes par de petits arrangements inavouables. Enfin, ils encouragent les programmes de formation, en particulier des doctorants ou des jeunes chercheurs, à l'intégrité scientifique. Pourtant, il est frappant de constater que ces guichets ne sont[...]
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Écrit par
- Nicolas CHEVASSUS-au-LOUIS : docteur en biologie, journaliste
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