DEUX FRED (1924-2015)
Enfance miséreuse ou enfance prometteuse ? Fred Deux, né le 1er juillet 1924 à Boulogne-Billancourt, et que son patronyme semble avoir prédestiné à la dualité, fera de son enfance dans un logement-cave le terreau de son œuvre littéraire et picturale. L’habitation en sous-sol de l’immeuble bourgeois où il vit entouré de l’amour de ses parents et d’un oncle qui lui est cher n’en reste pas moins sordide. L’eau y remonte avec les crues de la Seine, ramenant rats et moisissures. Malgré la tuberculose, Fred Deux fait tout pour en sortir, et s’en sortir, en quête d’un ailleurs qui lui corresponde : il fuit d’abord la cave familiale, puis les cours du Conservatoire des arts et métiers pour l’usine, où il est embauché en tant qu’ouvrier électricien et, en 1943, le travail à l’usine pour le maquis et la Résistance.
À la Libération, refusant de retourner à sa vie antérieure, il s’engage dans l’armée dans les goums marocains. En désaccord avec la politique colonialiste de l’après-guerre, il se fait réformer et s’installe à Marseille. Là, il est employé à la librairie Clary où il lit – Breton, Bataille, Bousquet, Artaud, Cendrars, Sade, Péret… – plus qu’il ne vend. Surtout, il y découvre Paul Klee et c’est un nouvel univers qui s’ouvre à lui, un univers d’art et de liberté, celui de la couleur. Il fonde alors le « sous-groupe des surréalistes de Marseille » et se lie aux Cahiers du Sud.
Ses premières taches apparaissent au fond de son assiette ; il les fait revivre avec de la peinture pour bicyclette, puis divers matériaux (encres, colles, tissus…). Il prend aussi des notes, écrit ce que fut son enfance. Même si ses proches ne le comprennent pas, pour Fred Deux, une nouvelle vie a commencé. En 1950, il part à Paris où il rencontre l’artiste Hans Reichel, qui lui permet « de se pencher par-dessus son épaule ». Il lui en sera toute sa vie reconnaissant. L’année suivante, à Marseille, ses taches dessinées sont remarquées par Karl Flinker, un jeune galeriste parisien qui les montre à Jean Cassou, directeur du Musée national d’art moderne ; ce dernier leur consacre un article dans les Cahiers du Sud. Il s’ensuit une première exposition à la librairie Martin Flinker à Paris.
Après une longue rechute de tuberculose, pendant laquelle il continue de peindre et d’écrire comme s’il s’agissait d’une seule et même chose, avec la conviction que « ses écrits sont de la même main que ses dessins », Fred Deux s’installe à Paris où il rencontre André Breton et se lie avec Hans Bellmer. Devenu membre du groupe surréaliste, il expose à la galerie de l’Étoile scellée. Ses œuvres s’apparentent à « l’automatisme surréaliste », mais il se reconnaît de moins en moins dans les autres aspects du groupe et s’en détache peu à peu.
En 1951, à la librairie de la Hune, Fred Deux rencontre « son Autre », Cécile Reims. Désormais, il y aura « le monde de Cécile, le monde de Fred, leur monde ». Tant à cause de leur santé fragile que de leurs exigences artistiques, ils s’écartent de la vie parisienne et s’installent dans une ferme dans l’Ain.
Fred Deux s’enfonce dans l’introspection. Ses taches onirico-organiques se peuplent d’êtres fantasmatiques. En 1958, après un séjour en sanatorium, il publie avec l’aide de Maurice Nadeau La Gana, sous le pseudonyme de Jean Douassot. Ce roman autobiographique qui explique en partie le « fond mycologique » de son œuvre sera suivi de Sens inverse (1960), La Perruque (1969), Nœud coulant (1971). Par la suite, il publiera de nombreux autres textes sous son propre nom, notamment Lettres à mon double (1983), Voies de passage (1984), À vif, un récit autobiographique en 24 CD audio (1994), et Terre mère (1999). En 1971, il fonde avec Cécile Reims un Centre d’art contemporain, le C.A.C.L. En 1985, tous deux quittent l’Ain pour une maison[...]
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Écrit par
- Sylvain LARQUIER : régisseur de scène
- Françoise PERRONNO : régisseuse d'exposition
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