Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

CHOPIN FRÉDÉRIC (1810-1849)

Le legs pianistique

Le piano inspirateur

Un précieux index thématique des diverses compositions de Chopin nous est fourni par la table des matières qu'il écrivit avec Franchomme pour la collection complète des œuvres réunies par Jane Stirling et corrigées de la main du maître. Cet index est reproduit en tête de l'édition monumentale soigneusement publiée par Édouard Ganche, alors président de la société Chopin (3 vol., Oxford University Press, 1928-1933). Cet ouvrage, qui se conforme strictement aux manuscrits authentiques et à l'édition princeps devenue depuis longtemps introuvable, devait apporter les plus magnifiques surprises, révélant toutes les hardiesses de la plume de Chopin, si malencontreusement « rectifiées » par des révisions qui leur ôtaient toute originalité.

L'essentiel de l'œuvre de Chopin est destiné au piano dont le compositeur était lui-même un exécutant virtuose. Grâce aux travaux des facteurs, parmi lesquels on peut noter Érard et Pleyel, le piano moderne, avec toutes ses possibilités expressives, était né, permettant à Chopin d'affirmer sa personnalité musicale.

Chopin inaugure un nouveau mode de rapports entre l'instrument et le compositeur. Le piano semble n'être plus, pour lui, le moyen de faire entendre une certaine musique ; c'est, au contraire, la composition qui devient le moyen de faire « chanter » le piano : le piano lui-même est sa principale source d'inspiration. De là vient sans doute la légende d'un Chopin plus improvisateur que compositeur au sens classique du terme. En fait, le simple examen de ses manuscrits et l'analyse approfondie de ses partitions suffisent à démontrer la préméditation rigoureuse de son écriture.

Des « phrases au long col »

Très peu de thèmes de Chopin ont le caractère, généralement bref, ferme et arrêté, de l'idée symphonique. À moins qu'ils n'aient volontairement celui de la danse (Polonaises, Mazurkas, Valses, etc.), ses thèmes sont de caractère vocal. Marcel Proust a bien su les définir tout en imitant leur tournure, lorsqu'il écrivait « les phrases au long col sinueux et démesuré de Chopin, si libres, si flexibles, si tactiles, qui commencent par chercher et essayer leur place en dehors et bien loin de la direction de leur départ, bien loin du point où on avait su espérer qu'atteindrait leur attouchement, et qui ne se jouent dans cet écart de fantaisie que pour revenir plus délibérément – d'un retour plus prémédité, avec plus de précision, comme sur un cristal qui résonnerait jusqu'à faire crier – vous frapper au cœur ».

Mais la mélodie de Chopin n'est pas toujours faite de figures ornementales. La seule analyse de ses Préludes suffirait à nous en convaincre. Nous la trouvons formée d'accords bondissants (Prélude en sol majeur) ou figurée par un déploiement continu d'accords brisés successifs (Prélude en mi bémol mineur). Elle revêt l'aspect de la polymélodie au sens où nous l'entendions à l'époque de la pré-Renaissance (Prélude en ut majeur). Tout en restant diatonique, Chopin se sert du chromatisme avec génie. C'est souvent chez lui façon d'exprimer une certaine morbidesse en l'enveloppant de grâce et de mystère. Les traits « broderies » dans lesquels on était tenté de trouver une pointe d'italianisme sont en réalité chez Chopin des envolées harmoniques du goût le plus délicat, dont il est indécent d'accentuer ou de ralentir les notes finales d'une façon déclamatoire.

Chez lui, le sens de l'harmonie est également très particulier. Outre la prédilection qu'il montre pour les modes de la musique populaire, surtout dans les Mazurkas (quintes vides d'accompagnement ou enchaînements d'accords parallèles défendus par les traités, ou encore formules de cadences substituant le deuxième[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : ancien bibliothécaire au Conservatoire national de musique; pianiste soliste titulaire O.R.T.F.

Classification

Médias

Frédéric Chopin - crédits : A. Dagli Orti/ De Agostini/ Getty Images

Frédéric Chopin

George Sand - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

George Sand

Autres références

  • 24 PRÉLUDES, OPUS 28 (F. Chopin)

    • Écrit par
    • 269 mots

    Au xve siècle, de courtes pièces improvisées permettent à l'interprète de vérifier l'accord de son instrument, « en prélude » à l'exécution de l'œuvre elle-même. Avec Andrea Gabrieli au xvie siècle, Dietrich Buxtehude au xviie, François Couperin, Georg Friedrich...

  • ARRANGEMENT, musique

    • Écrit par
    • 4 319 mots
    • 1 média
    ...Liszt fit de même pour le piano et l'on connaît même, de lui, un arrangement sur le « Chœur des fileuses » extrait du Vaisseau fantôme de Wagner. Même Chopin, dont la discrétion était extrême, a sacrifié à cette mode en écrivant sa Fantaisie op. 2 pour piano et orchestre sur Don Giovanni de Mozart...
  • BRAÏLOVSKI ALEXANDRE (1896-1976)

    • Écrit par
    • 651 mots

    Né à Kiev le 16 février 1896 et mort à New York le 25 avril 1976, le pianiste américain d'origine russe Alexandre Braïlovski fut, à Vienne, entre 1911 et 1914, l'élève de Theodor Leschetizky. Très doué et précoce, il ne commença que relativement tard ses tournées internationales ; à ce retard contribua...

  • CORTOT ALFRED (1877-1962)

    • Écrit par
    • 2 555 mots
    • 2 médias
    ...subtil et sensible qui, sous l'élégance et la clarté du trait, fait affleurer cette émotion retenue qui est la signature de toute la musique française. Chopin, il ne le joue pas, il le respire. Et de réécouter encore et encore cet inimitable rubato, ce toucher de velours, la suprême simplicité de ce phrasé...
  • FRIEDMAN IGNAZ (1882-1948)

    • Écrit par
    • 462 mots
    • 1 média

    Brillant concertiste, le pianiste polonais Ignaz Friedman demeure surtout célèbre pour ses interprétations de Chopin, en particulier de ses Mazurkas.

    Ignaz Friedman naît le 14 février 1882 à Podgórze, près de Cracovie. Il doit ses premières leçons de musique à son père, violoniste et clarinettiste...

  • Afficher les 15 références