VITOUX FRÉDÉRIC (1944- )
La mémoire familiale joue un rôle particulièrement important dans l'œuvre de Frédéric Vitoux ; aussi se doit-on d'évoquer d'emblée les origines de cet écrivain, né à Vitry-aux-Loges (Loiret) le 19 août 1944, fils de Pierre Vitoux, journaliste au Petit Parisien, condamné à la Libération pour intelligence avec l'ennemi. Frédéric Vitoux est également le petit-fils de Georges Vitoux, bibliophile, journaliste scientifique et médecin dont il brosse un portrait joyeux à travers le roman Grand Hôtel Nelson (2010). L'occasion est belle pour le narrateur d'évoquer une enfance disparue, « ce temps qui me paraît déjà inaccessible depuis que mon père est mort, que son image a tendance à disparaître, à se dissoudre, à se diluer dans cette terrible soupe à fabriquer de l'oubli que concoctent les années qui s'en vont... ». Comment se consoler et échanger le monde réel contre un monde imaginaire ? Cette question traverse l'œuvre de l'écrivain.
Frédéric Vitoux est élève au lycée Charlemagne avant de préparer le concours d'entrée à l'I.D.H.E.C., puis de s'orienter vers des études littéraires conduites à la Sorbonne. Elles se concluent avec une thèse sur Céline soutenue en 1968 et qui paraîtra sous forme d'essai (Louis-Ferdinand Céline. Misère et parole, 1973), en même temps que son premier roman, Cartes postales. Vitoux consacrera par la suite de nombreux ouvrages, dont La Vie de Céline (1988, 2005), à ce créateur d'une écriture convulsive et visionnaire, emporté par l'antisémitisme des années 1930. Vitoux restera bouleversé par cette lecture : « Il y aurait toujours un avant et un après Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit, une perte définitive de son innocence, une méfiance désormais acquise à l'égard des paroles, des mensonges ou des illusions criminelles dont se bercent les hommes pour tenter d'être un peu moins malheureux... »
En digne admirateur du septième art, Frédéric Vitoux, critique littéraire au Quotidien de Paris dès 1974, puis à partir de 1979, au Nouvel Observateur, est également critique cinématographique, et collabore à partir de 1966 à la revue de cinéma Positif. Il aime revenir régulièrement à ses passions – Rossini, Venise et plus largement l'Italie – en leur consacrant des essais ou en inscrivant leur présence dans ses romans (Fin de saison au palais Pedrotti, 1985 ; Sérénissime, 1990 ; La Comédie de Terracina, 1994). Car le génie des lieux n'est jamais qu'une manière de retrouver « l'inflexion des voix chères qui se sont tues » (Baudelaire) et qui hantent Frédéric Vitoux. C'est ainsi que dans Clarisse (2008) l'écrivain s'arrête sur une figure symbolique de ses années de jeunesse, la « vieille fille » Clarisse Doysié, ancienne élève de sa grand-mère, professeur d'anglais, devenue collègue d'enseignement au lycée Sophie-Germain. Le petit-fils devenu adulte admire en cette ombre maternelle « la beauté d'une vie qui va s'éteindre, dont on ne distingue plus que la flamme et qui plonge pour le reste dans l'obscurité ». De même, d'un ouvrage à l'autre, revient le leitmotiv de l'adresse parisienne de la famille Vitoux, ce « quai d'Anjou » où loge Charles, le narrateur du roman Jours inquiets dans l'île Saint-Louis (2012). Cette enquête policière amusée fait allusion à l'enclave villageoise au cœur de Paris qui correspond exactement à l'état d'esprit du propriétaire, « à la mélancolie d'un vieil homme appuyé à la rambarde d'un pont ou d'un parapet de l'île Saint-Louis ». Depuis cet espace préservé des bruits du monde, le tragique de l'existence est tenu à distance. Le narrateur vieillissant s'est mis en retrait de la vie et de ses désirs , choisissant l'état de somnolence, entre vie et mort, dans une mise en suspens[...]
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Écrit par
- Véronique HOTTE : critique de théâtre
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