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PROKOSCH FREDERICK (1908-1989)

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Salué comme le créateur du « roman géographique » par Gide, Thomas Mann, Yeats, lors de la parution, en 1935, des Asiatiques (traduit en 1947), Frederick Prokosch n'a pas connu toute la renommée que son talent laissait espérer. Trop baroque pour répondre aux critères d'une reconnaissance officielle et trop classique pour exercer la séduction du non-conformisme, il semble le plus souvent hésiter entre les outrances du visionnaire et un réalisme de feuilleton. Deux cultures, il est vrai, s'affrontent en lui, et l'un de ses traducteurs est fondé à souligner que « le Nouveau Monde lui a appris à vivre et l'Ancien à écrire ».

Né de parents autrichiens le 1er mai 1908, à Madison, dans le Wisconsin, il étudie aux États-Unis mais aussi en France, en Allemagne, en Autriche, en Angleterre, notamment à Cambridge. Une thèse sur les Apocryphes chaucériens lui vaut un poste de professeur d'anglais à l'université de Yale (1931-1933), où son père avait été professeur de langues germaniques, et à l'université de New York. Un voyage en Asie lui inspire un premier roman, Les Asiatiques, dont le succès est immédiat et détermine sa carrière d'écrivain. Il mène alors une vie très active, s'adonne au sport, à la peinture, à la musique. Lors d'un séjour à Prague, en 1937, il écrit : « En ce moment, mes principales préoccupations sont le tennis, le squash, l'architecture baroque, l'archipel grec, la poésie latine du Moyen Âge et le souci d'éviter la vulgarisation de l'argent et de la publicité. » En 1936, il avait fait paraître un recueil de poèmes, The Assassins, qui lui avait valu les éloges de Yeats. Carnival (1938) et les poèmes choisis publiés en 1947 ne susciteront pas l'enthousiasme de la critique, qui jugera sévèrement une forme empruntée et parfois mièvre.

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Avec The Seven who fled (Sept Fugitifs, 1948) paru en 1937 et Night of the Poors (La Nuit des humbles, 1949) se marque un certain déclin dans la notoriété de l'auteur. D'un séjour à Lisbonne, il rapporte The Skies of Europe et l'intrigue de The Conspirators (Les Conspirateurs, 1944), où la découverte de l'assassinat d'un agent nazi forme l'intrigue d'un roman d'espionnage assez conventionnel. Il traduit à l'époque plusieurs poèmes de Hölderlin. The Idols of the Cave (Pas de quatre, 1952) reste trop proche dans son inspiration de Skies of Europe pour séduire la critique américaine, qui va dès lors bouder ses meilleurs ouvrages, Storm and Echo (La Tempête et l'écho, 1956) et Nine Days to Makalla (Hasards de l'Arabie heureuse, 1955), paru en 1953. Installé en Italie, Prokosch écrit A Tale for Midnight (Béatrice Cenci, 1958) qui souffre de la comparaison avec la froide cruauté de la nouvelle de Stendhal et avec le lyrisme frénétique du drame conçu par Artaud sur le même sujet. Il faut citer encore un roman autobiographique, A Ballad of Love (Un chant d'amour, 1961), The Seven Sisters (Les Sept Sœurs, 1964) et cette belle méditation sur Byron qu'est The Missolonghi Manuscript (Le Manuscrit de Missolonghi, 1968).

Le monde de Prokosch est un monde crépusculaire, où le déclin des sociétés se mêle à la déchéance des êtres et où l'errance sans fin est la seule occupation qui fasse oublier que tout périple est celui de l'absurde. Un des personnages des Asiatiques donne le ton au récit de voyage d'un jeune Américain gagnant l'Asie par Damas, la Turquie, 1'U.R.S.S., Téhéran : « Si la vie n'a pas spécialement l'intention de vous faire de faveurs, il vaut mieux aller dans un endroit où l'on est sûr de ne pas en recevoir. Vous ne trouvez pas ? L'Asie est cet endroit-là : toute ma vie j'ai désiré voir l'Asie. » Le roman devient journal de bord d'une planète en décomposition, et l'aventure morose qui s'y déroule ne fait qu'ajouter à la désespérance : « Nous parlions de Dieu, de l'homme, de la création, de l'amour, de la haine et de la mort. Mais l'odeur des excréments, de la sueur et du sexe était perpétuellement présente. » Alors que le voyage au bout de la nuit tourne ici trop fréquemment à la complaisance journalistique, La Tempête et l'écho s'inscrit davantage dans l'art du réalisme fantastique. La recherche d'un ami disparu dans la jungle congolaise sert de prétexte à une expédition vers la montagne Nagala, dont l'existence paraît de plus en plus douteuse. Mais « ce qui importe, c'est le voyage, ce n'est pas la destination ». La « mémoire cruelle » sert de guide à une descente aux enfers, dont chacun a pris conscience : « N'approfondissez pas l'Afrique. N'essayez pas de la comprendre. N'essayez pas de la pénétrer. Ne vous laissez pas attirer par ce gouffre. Plus on s'y enfonce, plus elle est venimeuse. » Le récit se déroule dans une atmosphère hallucinante à laquelle les bêtes imposent une manière d'esprit, qui est celui de la brousse. Une atmosphère que rythme la disparition progressive des explorateurs dans une forêt qui les dévore. Dans Pas de quatre, Prokosch fera retentir, sur l'arrière-fond d'un marivaudage dans la jungle sophistiquée de la société new-yorkaise, les rugissements lointains d'un zoo, contrepoint de l'amour prédateur aux sirupeuses mélodies du flirt. Mais le procédé sent ici l'artifice.

En revanche, Hasards de l'Arabie heureuse est de la même trempe que La Tempête et l'écho. Aux enchantements maléfiques de la brousse se substituent les sortilèges du désert. Deux hommes et deux femmes, rescapés d'un accident d'avion, tentent d'atteindre Aden au terme d'une longue dérive où le délire les entraîne peu à peu à la perte. La réalité vacille sous le souffle des midis aveuglants, « le cerveau vide de pensées » s'invente des villes fantomatiques et des paysages où l'on passe insensiblement de la vie à la mort : « Nous sommes tous des esprits sans défense, tourmentés. »

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Parce qu'elle était volontiers capricieuse et errante, la vie de Frederick Prokosch favorisait les rencontres, les hasards heureux ou funestes. Voices, a Memoir (Voix dans la nuit, 1983) relate quelques-uns des épisodes de cet itinéraire compliqué : livre de mémoires, donc, mais aussi fantastique galerie de portraits où revivent, entre autres, sous la plume de l'auteur, Thomas Mann, Gertrude Stein, Ezra Pound, W. H. Auden, T. S. Eliot, Mario Praz, Giorgio De Chirico.

— Raoul VANEIGEM

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