ROLFE FREDERICK WILLIAM (1860-1913)
Parmi les écrivains anglais victimes du puritanisme victorien, Frederick Rolfe, dit baron Corvo, a mis un singulier acharnement à se venger d'une société dont il se sentait exclu. Catholique par haine de la « cagoterie luthérienne », homosexuel par inclination et escroc par nécessité, il n'eut de cesse de se perdre avec intelligence et ostentation, et d'entraîner dans sa débâcle ceux dont il sollicitait le crédit et l'amitié, et qui ne daignèrent pas lui offrir davantage. Car, menant une entreprise cynique et désespérée, il gardait au cœur la nostalgie d'un absolu de l'amour et de la générosité.
Né à Londres, le 22 juillet 1860, Rolfe quitte la maison paternelle à quinze ans, étudie à Oxford, se convertit au catholicisme à vingt-cinq ans et ambitionne de devenir prêtre, cherchant dans le faste liturgique, à la manière de Julien Sorel, de quoi s'assurer d'un pouvoir inaccessible par ailleurs. Reçu au séminaire d'Oscott, il en est chassé pour homosexualité et un certain manquement au devoir d'humilité (il avait peint une apothéose de saint Guillaume de Norwich où tous les personnages étaient des autoportraits). Une seconde tentative, au séminaire écossais de Rome, où l'avait recommandé l'évêque d'Édimbourg, ne produira guère de meilleurs résultats.
De retour en Angleterre, il peint des fresques d'église et des bannières religieuses, écrit des nouvelles, se fait appeler baron Corvo, invente un procédé de photographie sous-marine, dénigre le catholicisme, est poursuivi pour escroquerie. En 1898, plusieurs de ses récits, publiés auparavant dans la revue littéraire The Yellow Book, paraissent sous le titre Stories Toto Told Me. Pendant les dix ans de son séjour à Londres, il publie Chronicles of the House of Borgia (1901), étude historique truffée d'érudition et d'anecdotes curieuses, et In His Own Image (1901). Hadrien VII (1904) est un étonnant roman utopique et autobiographique. Sous les traits d'un pape éclairé, « pauvre, solitaire, altruiste et misanthrope », prisonnier d'un Vatican en proie à l'affairisme, résolu à mettre l'Église au service des déshérités et payant de sa vie ses décrets à coloration subversive, l'auteur y présente « la vie antérieure de Frederick Rolfe telle qu'il désirait qu'on s'en souvînt, et ses années à venir comme il eût voulu qu'elles fussent ». Don Tarquinio, publié en 1905, retrace vingt-quatre heures de la vie d'un courtisan à la cour de Borgia.
Emmené à Venise par le professeur Dawkins, Rolfe se prend de passion pour la ville, se jette dans une folle prodigalité et se brouille avec ses derniers amis. Un moment hébergé dans un palais, il en est expulsé lorsque ses hôtes découvrent le manuscrit de The Desire and Pursuit of the Whole, où tous les membres de la colonie britannique de Venise sont traînés dans le ridicule. Réduit à la misère, il doit vivre d'expédients. Admis une première fois à l'infirmerie britannique en 1910, il y retourne pour y mourir le 26 octobre 1913.
Le récit de ses années de détresse forme la matière du roman Le Désir et la Poursuite du Tout, qui ne paraîtra qu'en 1934. L'auteur, sous le nom de Nicholas Crabbe, sauve du tremblement de terre de Messine une jeune fille qu'il habille en garçon et dont il fait son serviteur dévoué et affectueux. Zeldo veille sur lui tandis que tous l'abandonnent. Alors qu'il cherche un endroit où mourir discrètement, l'androgyne le sauve non par devoir mais par amour. En dépit « des dieux qui raillent son désir », la volonté de Crabbe de ne jamais renoncer découvre son meilleur allié dans la misère et la splendeur de Venise. « C'est ainsi que le Désir et la Poursuite du Tout furent couronnés et récompensés par l'Amour. » Ajoutons que la vie et l'œuvre de Rolfe sont désormais inséparables de la passionnante[...]
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Écrit par
- Raoul VANEIGEM : écrivain
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