FRESQUE
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Préparation des fresques
Les peintures murales étaient préparées de plusieurs façons. On faisait souvent des dessins sur l'arriccio au moyen de terre noire, jaune ou rouge (la prétendue sinopia, du nom de la fameuse terre rouge de Sinope, en Asie Mineure). On a trouvé des dessins préliminaires de ce genre, tracés dès le ve siècle après J.-C., sous les mosaïques de l'arc triomphal de Sainte-Marie-Majeure à Rome. Parfois, les dessins en sinopia étaient modifiés sur des surfaces d'enduit successives avant qu'on ne commence la fresque proprement dite. C'est le cas de la lunette peinte par Simone Martini à Notre-Dame-des-Doms en Avignon et peut-être aussi du Triomphe de la mort de Buffalmacco au Camposanto de Pise.
Cependant, on ne trouve pas toujours de sinopie sous les peintures murales lorsqu'on détache celles-ci. Cela ne veut pas forcément dire qu'originellement il n'en ait pas existé. La conservation du dessin sur l'arriccio dépendait soit de la fraîcheur de l'enduit, soit (si la sinopia était tracée sur une surface déjà sèche) du pouvoir fixateur de l'intonaco de chaux qu'on étendait par-dessus. Néanmoins, il arrivait souvent que des dessins préliminaires de ce type soient tout simplement effacés lorsqu'on mouillait le mur pour appliquer l'intonaco.
Fréquemment, l'artiste ne suivait pas exactement la sinopia dans la version définitive. Des corrections intervenaient pour différentes raisons : changement d'idée de la part du peintre, critiques du commanditaire, remplacement de l'exécutant. On en citera comme exemples la Décollation de sainte Catherine de Masolino (San Clemente, à Rome), la lunette de Bicci di Lorenzo, qui provient de la porte Saint-Georges à Florence, et la Déposition du tabernacle de la chapelle des Giustiziati à Certaldo, de Benozzo Gozzoli.
Certaines sinopie sont détaillées et précises, par exemple la Crucifixion du xiiie siècle faite pour San Domenico à Pistoia et le Couronnement de la Vierge exécuté à la fin du xive siècle par Piero di Puccio au Camposanto de Pise ; d'autres ne le sont pas, tels le croquis d'Uccello pour la Création des animaux dans le Cloître Vert à Santa Maria Novella ou la Crucifixion de Parri Spinelli au Palazzo Communale d'Arezzo. Cela soulève le problème de distinguer les peintures murales conçues directement sur le mur et celles qui suivaient un carton ou étaient l'agrandissement de dessins plus petits (appelés modelli).
Selon Cennino Cennini, l'ébauche préliminaire au charbon de bois (carboncino) qu'on traçait sur l'arriccio, était un dessin à main levée qui précédait une version plus définitive exécutée en sinopia. Des traces de dessins de ce type sont encore visibles parfois, comme dans certaines scènes datant du milieu du xve siècle et provenant du Chiostro degli Aranci (La Badia, Florence) et dans le Saint Jérôme de Castagno (Santissima Annunziata, Florence).
Dans les œuvres du xive siècle, l'absence de sinopia sous des peintures murales d'un dessin complexe peut parfois indiquer que ces œuvres étaient entièrement faites d'après des modelli : la chapelle Peruzzi, de Giotto, en offre un exemple. En ce qui concerne les peintures murales exécutées a secco sur de larges pontate, les sinopie n'auraient pas joué le même rôle pratique de lignes directrices, comme elles le font pour les fresques faites par petites giornate successives.
Bien qu'on connaisse des modelli sur parchemin datant du xive siècle, destinés à des œuvres réalisées dans d'autres techniques (des ciboires et des chaires, par exemple), on n'a pas conservé de dessins de ce genre ayant servi pour des peintures murales. Le projet de Taddeo Gaddi pour la Présentation de la Vierge, conservé au Louvre, constitue peut-être la seule exception ; la peinture murale se trouve à Florence dans la chapelle Baroncelli de Santa Croce. Toutefois, il ne faut pas confondre les modelli avec des copies d'après des peintures murales, dont il existe un certain nombre. Au tournant du siècle, des documents mentionnent enfin l'emploi de modelli pour des peintures murales, et il en reste plusieurs exemples à la Morgan Library de New York, un dessin de Spinello Aretino et un projet pour une lunette, récemment attribué à Cenni di Francesco Ser Cenni.
Quant à l'apparition de l'usage des cartons, elle n'est guère prouvée de manière plus concluante. On a observé que plusieurs des sinopie de Pistoia datant du xiiie siècle ont leurs contours incisés dans l'arriccio. On ne sait pas exactement si cela est dû à des incisions faites à partir du carton ou simplement à des dessins à main levée exécutés dans l'enduit encore mou pour servir de ligne directrice au tracé de la sinopia. Le plus ancien exemple indiscutable de peinture murale faite à partir de cartons date de 1360 environ : il s'agit de l'encadrement ornemental de l'œuvre perdue d'Orcagna pour le chœur de Santa Maria Novella à Florence. Bien que les spolveri révélateurs laissés par l'usage de cartons perforés apparaissent de temps en temps sur des peintures murales exécutées entre 1400 et 1425, il s'agit encore d'éléments de caractère ornemental où on trouve un motif répété – comme dans l'encadrement des baldaquins (cf. Starnina à Santa Maria del Carmine et Lorenzo Monaco à Santa Trinità de Florence). Rien ne prouve avec certitude qu'on ait préparé des dessins à l'échelle réelle ou des cartons pour les parties principales d'une peinture murale avant le milieu du xve siècle. Mais on trouve des spolveri sur les œuvres d'Uccello, de Domenico Veneziano, de Castagno et de Piero della Francesca. Bien qu'à partir de cette époque l'usage des cartons soit devenu une pratique courante, l'emploi de la sinopia n'en est pas pour autant tombé en désuétude. En fait, Andrea del Castagno s'est même servi de cartons pour les sinopie de sa Résurrection à Sant'Apollonia. Des sinopie plus tardives ont été découvertes sous les peintures murales de Corrège, Poccetti, Ferrucci et Ligozzi.
Des cartons ont parfois été réemployés dans la même œuvre ou dans une peinture tout à fait différente. Piero della Francesca s'est servi du même carton, utilisé dans l'autre sens, pour plusieurs visages de la scène de Salomon et la reine de Saba à Arezzo et pour les anges de la Madone del Parto à Monterchi. Benozzo Gozzoli s'est servi de mêmes cartons pour peindre certaines figures dans des œuvres qui ont jusqu'à vingt ans de différence (cf. la chapelle Médicis à Florence et les scènes tirées de la Bible du Camposanto de Pise).
Le fait de se référer à un carton signifiait que les projets pouvaient être étudiés et perfectionnés dans l'atmosphère plus propice de l'atelier, bien que le résultat final ait souvent démontré que le rapport entre la composition picturale et son emplacement était moins harmonieux que lorsque les premiers essais étaient faits directement sur le mur. L'emploi de cartons impliquait aussi une plus grande rapidité et favorisait donc la technique du buon fresco. Le seul fait de passer légèrement de la poudre colorée à travers les lignes perforées permettait de reporter une figure tout entière sur l'enduit frais en quelques secondes. On ne sait pas exactement si les cartons du Quattrocento étaient conçus en fragments séparés ou s'ils étaient faits à partir d'un dessin d'ensemble, qui se serait perdu, reproduisant l'étendue de tout le mur à peindre. Cennino donne une description de ce qui peut apparemment être considéré comme des cartons pour des compositions d'ensemble de vitraux. Mais le plus ancien exemple qu'on possède est un carton de Raphaël ; il se trouve à l'Ambrosiana pour la partie inférieure de L'École d'Athènes. Qu'on l'ait conservé est un fait exceptionnel car la plupart des cartons de ce genre ont été perdus du fait même qu'ils étaient découpés en morceaux pour que l'on puisse plus aisément les appliquer sur le mur. Les fragments maculés étaient généralement jetés après usage, bien que des morceaux de cartons célèbres aient été, paraît-il, jalousement préservés (comme ceux de Michel-Ange pour La Bataille de Cascina et certains des ignudi et prophètes du plafond de la chapelle Sixtine). Ces cartons ont été perdus depuis, mais on en possède d'autres, qui ont pu être réellement employés pour reporter le dessin sur le mur (tels ceux d'Agostino et Annibale Carrache pour certaines parties de la galerie Farnèse, conservés à Londres et à Urbino). Dans le cas des cartons de Raphaël de l'Ambrosiana, on peut affirmer qu'il en a été fait un double qui était destiné à être appliqué sur le mur. Il reste à déterminer si des parties entières de ce carton ont été ainsi reproduites, ou si on n'a fait des doubles que pour les figures isolées.
La préparation du carton lui-même comprenait plusieurs étapes. Même une simple petite section était souvent le résultat d'une étude approfondie. Il y a, par exemple, à Chatsworth, en Angleterre, un dessin de Ghirlandaio, une vieille femme qui est celle qu'on trouve dans la Naissance de la Vierge à Santa Maria Novella. Les mesures et les lignes de ce dessin, extrêmement travaillé, correspondent exactement à la tête qu'on voit sur la fresque. Mais comme ce dessin – de même que celui qui figure au verso – est dans un état parfait et ne porte aucune souillure, on doit conclure que si on a percé ses lignes, c'est pour le décalquer non pas sur le mur mais sur une autre feuille qui, elle, a été appliquée sur l'enduit.
À une époque précédente du xve siècle, on réalisait différemment des plans précis pour des décorations murales entières : par la mise au carreau du modello. C'est le dessin d' Uccello pour le monument de John Hawkwood – dessin conservé aux Offices – qui en est le premier exemple connu qui ait survécu. L'invention de ce procédé qui permet d'obtenir un agrandissement précis a été attribué, selon les auteurs, à Brunelleschi ou à Alberti, mais il était déjà connu des sculpteurs égyptiens de l'Ancien Empire et des Bolognais de la fin du xive siècle. Quoi qu'il en soit, les artistes italiens qui exécutaient des peintures murales ont commencé à employer ce procédé au début du XVe siècle, précisément au moment où ils cherchaient à se donner les techniques pratiques et rationnelles dont faisaient usage les mathématiciens et architectes qui s'intéressaient beaucoup, eux aussi, aux problèmes picturaux. Par la suite, les modelli mis au carreau devinrent un élément essentiel des instruments de travail du peintre. Quelquefois, le dessin mis au carreau était agrandi directement sur l'arriccio (et recommencé sur l'intonaco) comme c'est le cas pour la Présentation de la Vierge, œuvre d'un imitateur d'Uccello à la cathédrale de Prato (vers 1445) et pour les peintures du cloître d'Ognissanti à Florence, exécutées cent cinquante ans plus tard par Jacopo Ligozzi (Saint François partageant son manteau avec un mendiant). Dans d'autres cas cependant, le modello mis au carreau servait simplement de guide pour l'exécution de cartons à l'échelle réelle, par exemple pour l'Annonciation de Pontormo à Santa Felicità.
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Écrit par
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