FRICHES INDUSTRIELLES
À Völklingen, près de Sarrebruck, commençaient à se développer dans les années 1880, sous le contrôle des maîtres de forges Röchling, des aciéries appelées à devenir la plus importante source de produits laminés de toute l'Allemagne et à prendre rang parmi les plus grandes installations du genre en Europe, et même dans le monde.
L'obsolescence de leur équipement et les plans de restructuration de l'industrie européenne de l'acier ont provoqué l'arrêt définitif des aciéries de Völklingen en 1986. Depuis lors, les autorités du Saarland ont mis au point un plan de conservation de ce monumental témoignage du patrimoine industriel de l'Allemagne, et ont obtenu son inscription sur la liste du Patrimoine mondial de l'U.N.E.S.C.O. en 1994. Une réflexion sur les friches industrielles pourrait partir, bien sûr, d'autres exemples : ceux de Longwy en France, de la vallée de la Sambre en Belgique, des anciennes usines Fiat du Lingotto à la périphérie de Turin, celui encore des Midlands britanniques... Dans tous les cas, les problèmes posés seraient analogues : d'une part, l'apparition d'un paysage de ruines au sein d'un tissu spatial, urbanisé ou non, et la difficulté d'en définir et d'en réaliser la réappropriation ; d'autre part, la valeur historique et culturelle brusquement prise par des vestiges d'une certaine étape de la civilisation industrielle et technique, dès lors qu'une destruction imminente les guette, mais aussi la difficulté d'en assurer la conservation et la « réinterprétation ». L'apparition d'une friche industrielle crée un enjeu d'un type nouveau, autour duquel s'affrontent des intérêts économiques, des modes de gestion ou de représentation de l'espace.
Les friches « mineures »
Toutes les friches industrielles ne sont pas de même nature et toutes ne posent pas de problèmes aussi complexes. Une catégorie « mineure » est constituée par les friches bâties, dont l'emprise au sol est relativement limitée et dont la visibilité réside avant tout dans une architecture à étages multiples ou à déploiement horizontal. Ces friches sont héritées des industries légères de la première ou de la seconde industrialisation : textile avant tout, mais aussi petite métallurgie, construction mécanique, industries de transformation des genres les plus divers, ateliers appartenant à l'immense secteur de la petite et moyenne entreprise. Elles peuvent être disséminées en sites ruraux, particulièrement dans les fonds de vallées où l'hydraulique a vigoureusement soutenu l'industrialisation jusqu'à l'aube du xxe siècle (haute Normandie, Picardie, Artois, versant lorrain des Vosges). Elles sont tout autant urbaines, colorant fortement les bourgs gonflés par l'industrie (comme dans les vallées du Beaujolais), imbriquées avec le tissu résidentiel et commerçant de certains quartiers (ceux de l'est du Paris historique), constituant la trame même de grands centres industriels du Nord (Roubaix) ou d'Alsace (Mulhouse avant les destructions du xxe siècle).
En contexte urbain, la pression de la spéculation immobilière ou la volonté de profiter de l'apparition des friches pour remodeler des pans entiers de la ville peuvent aboutir à une élimination rapide et radicale de friches, même importantes. C'est la raison pour laquelle, par exemple, Paris a conservé si peu de témoignages du rang éminent qu'il occupa pendant un peu plus d'un siècle dans la grande industrie française, ou de l'intensité du travail industriel dans certains de ses anciens faubourgs. Comme le « métallo » ou le « mécano » parisiens, l'industrie parisienne de l'automobile est partie vers l'univers de la légende (et même pas toujours vers les rayons des archives) en même temps qu'étaient nivelés les terrains jadis occupés par[...]
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Écrit par
- Louis BERGERON : directeur d'études honoraire à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Médias
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ÉCOMUSÉES INDUSTRIELS
- Écrit par Louis BERGERON
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