FRICHES INDUSTRIELLES
Autour de l'architecture de l'industrie : séduction et raison
Pourtant, depuis une vingtaine d'années, la friche industrielle bâtie en milieu urbain a réussi à imposer, face aux programmes de modernisation, de rénovation et d'aménagement, la prise en considération de ses superstructures, la dignité et la qualité, à la fois symboliques et techniques, de son architecture comme alternative à une politique de la table rase. Plus la taille des bâtiments est grande (on songe à certaines usines de filature et de tissage, à certaines minoteries, à certains équipements liés aux transports ou au stockage) ou plus la taille des municipalités hébergeant ces « monstres » est réduite, plus la question de la survie et de la réutilisation offre de difficultés à résoudre. La justification de la recherche d'une solution se trouve pourtant à trois niveaux :
– Qualité des bâtiments industriels désaffectés. Son appréciation continue à s'effectuer au coup par coup, parce que l'histoire des bâtiments à usage industriel et de leur architecture ne dispose pas encore d'un code d'analyse satisfaisant ; le progrès d'une telle histoire paraît même avoir été retardé, paradoxalement, par la concentration de l'attention et des travaux sur l'architecture utilisatrice des matériaux nouveaux : fer, fonte ou acier, béton armé – et sur les héros de leur emploi généralisé : Eiffel, Hennebique... L'industrie en tant que cliente spécifique de l'architecture a consommé successivement ou simultanément les matériaux les plus traditionnels et les plus révolutionnaires ; la diversité de ses besoins productifs et de l'échelle de ses commandes a engendré la livraison par les constructeurs des échantillons les plus divers. Mais, dans un grand nombre de cas, le résultat a été l'édification de bâtiments présentant toutes sortes de caractéristiques précieuses dans la perspective d'une réutilisation même en dehors d'une réaffectation industrielle : grandes dimensions extérieures ; espaces et volumes intérieurs étudiés pour une utilisation optimale et la liberté de la circulation ; résistance au feu ; solidité des carcasses ; recherche de solutions assurant le maximum d'éclairage ; habillage et décoration extérieurs empruntant les voies de l'éclectisme alors dominant et finissant parfois par imposer un style à toute l'architecture publique environnante. Bref, un profil qui devrait obliger, tant sur le plan de l'esthétique que sur celui du coût financier des opérations envisagées, à réfléchir sérieusement avant de donner l'ordre de démolir.
– Nouvelle affectation des bâtiments préservés. Tout comme les reconversions économiques, les réaffectations d'immobilier industriel requièrent des études approfondies et un investissement d'imagination. Certaines solutions n'ont pas tardé à prendre un aspect passe-partout, et c'est regrettable : l'hôtel industriel n'est pas assuré de trouver ses occupants ; le musée, ses moyens de fonctionnement permanent ; le centre culturel, sa clientèle ; l'immeuble résidentiel, ses locataires ou ses acquéreurs. L'entrepôt dégrade généralement les lieux. Une grande « première » en France, à laquelle il faut souhaiter une postérité, a certainement été de réserver une partie des locaux de l'ancienne usine Motte-Bossut, au cœur de Roubaix, à l'installation d'une nouvelle catégorie de dépôt d'archives publiques : les archives économiques de la région. Par ailleurs, les locaux de vastes dimensions se prêtent au développement d'une muséologie technique qui accueillerait les matériels les plus encombrants, et pas seulement les produits de l'industrie. On songe ici au cas de l'industrie automobile : alors que se multiplient, en France[...]
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Écrit par
- Louis BERGERON : directeur d'études honoraire à l'École des hautes études en sciences sociales
Classification
Médias
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