KEKULE VON STRADONITZ FRIEDRICH AUGUST (1829-1896)
La concaténation du carbone quadrivalent et la fin de la théorie des types
Fondée sur la capacité d'enchaînement du carbone quadrivalent, la systématisation kékuléenne des espèces organiques, mit un terme à un conflit de théories que l'on peut faire remonter aux idées de Dumas et Liebig sur les radicaux composés. En 1837, ces chimistes publièrent conjointement que la diversité des espèces organiques était réductible à une combinatoire de groupements atomiques invariables qui étaient associés dans les édifices moléculaires et se transportaient intacts dans les réactions ; c'était là une extension de la théorie dualistique de J. Berzélius, les radicaux composés fonctionnant comme des radicaux simples. Cependant, cette conception fut vite mise en question car elle supportait mal les phénomènes de substitution, reconnus dès 1834 par Dumas qui les nommait métalepsies. Tout en regardant les radicaux comme substituables, A. Laurent développa une théorie visant à identifier la charpente fondamentale des hydrocarbures, qui annonçait les idées de Kekulé. Abandonnant, non sans hésitation, la conception dualistique, Dumas en vint à élaborer une théorie des types dans laquelle chaque espèce est considérée comme un dispositif autonome, dont les caractères chimiques procèdent de l'arrangement atomique. Il devait en résulter un utile système de classification des composés organiques, et une nouvelle théorie des types formalisée par C. F. Gerhardt, qui concordait avec des recherches de C. A. Wurtz, A. W. von Hoffmann et A. W. Williamson. Dans un texte de 1853, Gerhardt prétend ramener « les composés organiques à 3 ou 4 types susceptibles chacun de donner des séries : l'eau, l'hydrogène, l'acide chlorhydrique, l'ammoniaque ». Ce sera, cependant, en utilisant la notion de type, dans le sens « mécanique » de Dumas, que Kekulé introduira subrepticement, en 1837, la notion fondatrice de quadrivalence du carbone, et renversera le sens de la sériation de Gerhardt en identifiant, l'année suivante, le type méthane : « Si on introduit le carbone en tant que radical tétratomique parmi les types, plusieurs composés déjà connus peuvent être formulés d'une manière relativement simple. » Récusant, en outre, l'importance constitutive des radicaux, qui semblait pourtant assurée derechef par des travaux récents de E. Frankland, Kekulé porte son attention sur le pouvoir de composition élémentaire de l'atome de carbone. En se fondant sur le dénombrement des affinités (Verwandtschaftseinheit) liant les atomes entre eux (déjà indiquées en 1852 dans un mémoire de E. Frankland), Kekulé en vient à poser que les atomes de carbone échangent des affinités dans la composition de chaînes qui se conservent dans les réactions n'affectant pas le nombre d'atomes de carbone. Telle que la pose Kekulé, la concaténation du carbone institue le support théorique d'une chimie organique structurale, tout en consacrant le déclin des conceptions de Gerhardt pour qui « l'arrangement supposé des atomes dans les corps est inaccessible à l'expérience ».
L'apparente simplicité de la conception kékuléenne des chaînes hydrocarbonées ne doit pas faire illusion ; cette hypothèse structurale n'a été acquise qu'au terme de difficiles élaborations grevées par toutes les complications qui résultaient de l'incertitude des chimistes sur le choix des poids atomiques et sur la composition élémentaire des espèces organiques. En outre, on retiendra qu'en 1858, Kekulé, s'il énonce clairement la « tétratomicité » du carbone, ne développe pas ses idées sur la Konstitution des composés carbonés avec toute la souveraine autorité qui animera en 1865 et 1866 ses fameux mémoires sur le benzène. On ne saurait méconnaître à cet égard que, concurremment,[...]
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Écrit par
- Jacques GUILLERME : chargé de recherche au C.N.R.S.
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