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HEBBEL FRIEDRICH CHRISTIAN (1813-1863)

Hebbel, dramaturge, poète, nouvelliste, compte parmi les grands écrivains d'Allemagne qui n'ont conquis que lentement la gloire dans leur pays et qui restent très peu connus hors des frontières nationales. Certes, ce fils de maçon né à Wesselburen dans le Holstein, qui traversera toute l'Allemagne à pied sans presque manger pour trouver à Munich ou à Vienne des hommes qui sachent le comprendre, cet autodidacte qui puise une vision pessimiste du monde dans une longue expérience de la pauvreté, ce fils de prolétaire qui affiche une philosophie d'apparence conservatrice, ce grand naturaliste avant la lettre aura lutté toute sa vie, et la lutte entre l'individu isolé et le monde sera la substance même de son œuvre. Depuis quelques décennies cependant, l'Europe découvre la richesse de sa réflexion.

« Toute vie est un combat entre l'individu et l'univers »

« Le drame moderne, si du moins celui-ci doit enfin prendre naissance, se distinguera du drame shakespearien (dont il faut de toute manière partir) en ceci que la dialectique dramatique se situera non seulement dans les caractères, mais dans l'idée elle-même. Le drame sera non seulement celui de l'homme dans ses rapports avec l'Idée, mais la justification même de l'Idée » (Journal intime).

Pareille optique explique à la fois la force et la faiblesse de l'œuvre. Sa force, car Hebbel ouvre la voie à un nouveau théâtre européen que l'on pourrait appeler drame du dévoilement, de la démystification de l'être. Cette nouvelle forme inspirera Ibsen, Gerhart Hauptmann, Strindberg, Georg Kaiser et Jean-Paul Sartre jusque dans les années 1950. Sa faiblesse en même temps, car l'œuvre de Hebbel est souvent surchargée d'intentions qui risquent de transformer les personnages en illustrations de théorèmes et qui écartèrent de lui un bon nombre de lecteurs et de spectateurs.

Deux aspects essentiels traduisent dans l'œuvre la nouvelle conception du tragique. Le premier véritablement révolutionnaire par rapport au théâtre classique de Gœthe et de Schiller est une nouvelle conception de la faute. Le drame allemand avait repris le modèle traditionnel grec : la faute tragique naît de la démesure, de l'hybris qui entraîne l'homme à empiéter sur le domaine du divin (Prométhée, Œdipe, etc.). Chez Hebbel, le tragique ne découle pas de tel ou tel acte d'un être, mais de son existence même au sein du monde, de son Dasein au sens heidéggerien. On le trouve exprimé tout entier dans certains passages du drame d'Agnès Bernauer (1852). Agnès, fille d'un barbier de la ville, séduit par sa seule beauté et son innocence, sans aucun calcul (contrairement à ce que fut peut-être son prototype historique), Albert, fils du duc régnant de Bavière. Le duc, héritier d'une Bavière amoindrie, épouse la jeune bourgeoise. Leurs enfants, nés d'une mésalliance, ne peuvent régner, et les États voisins en prennent prétexte pour déclencher la guerre civile et conquérir la Bavière. Devant cet avenir dramatique, le vieux duc Ernest préfère se heurter directement à son fils, faire précipiter Agnès dans le fleuve pour que son fils accepte enfin sa notion conservatrice de l'État. Il choisit l'injustice de préférence au désordre. Agnès déclare au chancelier Preising : « Et qu'ai-je donc commis ? » et celui-ci de répondre : « Troublé l'ordre du monde, divisé père et fils, détourné le prince de son peuple, provoqué une situation dans laquelle il ne saurait plus être question de culpabilité ou d'innocence mais seulement de cause et d'effet. » Le duc Ernest avoue souffrir de cet acte barbare, mais il déclare à son fils : « Si toi, tu te révoltes contre l'ordre divin et humain, moi, je suis là pour le maintenir et ne dois pas demander ce qu'il en coûte. » Ernest sait Agnès innocente, il sait que sa seule présence, sa beauté dont elle ne saurait être jugée responsable,[...]

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  • NIBELUNGEN

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    ...d'intérêt que pour le spécialiste. Deux d'entre elles seulement ont touché un public plus vaste. Suivant de près la Chanson des Nibelungen, Friedrich Hebbel a voulu « mettre le poème à la portée de la nation, sous une forme dramatique ». Mais c'est évidemment par la Tétralogie de Richard...