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JACOBI FRIEDRICH HEINRICH (1743-1819)

L'issue nihiliste de Schelling

Le ton de la polémique de Jacobi avec Schelling fut très âpre, même si, à l'origine, les rapports personnels des deux hommes avaient été assez cordiaux. En 1805, Jacobi avait accepté une invitation à s'installer à Munich pour réorganiser l'Académie des sciences dont il avait été nommé président. En cette qualité, dès 1806, il eut l'occasion de rencontrer Schelling ; il débattit même avec lui le texte du discours inaugural qu'il se préparait à prononcer devant l'Académie : Les Sociétés savantes, leur esprit et leur but (Über gelehrte Gesellschaften, ihren Geist und Zweck, 1807). Mais, bien vite, les désaccords philosophiques entre les deux hommes trouvèrent leur expression publique avec l'écrit de Jacobi qui s'intitulait Von den göttlichen Dingen und ihrer Offenbarung (Des choses divines et de leur révélation, Leipzig, 1811) et auquel Schelling riposta par un pamphlet sarcastique : Denkmal der Schrift von den göttlichen Dingen und ihrer Offenbarung (Épitaphe pour l'écrit sur les choses divines et leur révélation, 1812). Selon Jacobi, Schelling, en affirmant l'identité absolue de la nécessité et de la liberté et en réduisant tout à la nature, poussait jusqu'à ses ultimes conséquences la philosophie critique et en révélait avec évidence le caractère nihiliste, ce dont la lettre à Fichte avait déjà signalé le danger. Reprenant même des arguments utilisés dans un écrit antérieur, Über eine Weissagung Lichtenbergs (Sur une prophétie de Lichtenberg, 1801), Jacobi soutenait qu'en s'en remettant uniquement à la philosophie spéculative on ne pouvait que nier, avec Dieu et la liberté, la réalité même de la nature, car on réduisait ainsi toutes choses à un chaos originel, à un principe inconditionné qui est précisément l'inconditionné tel que l'envisage l'intellect, c'est-à-dire un néantabsolu dont tout découlerait nécessairement. Cependant, en rappelant que le criticisme conduit à une vision absurde et désespérante de la réalité (comme l'avaient compris et affirmé, de leur côté, Kleist et Jean-Paul), Jacobi ne cherche pas un motif pour reprendre et intensifier sa polémique avec Kant ; il en vient plutôt à réévaluer la position kantienne en faisant remarquer que, par son caractère contradictoire, elle s'arrête en deçà des conséquences nihilistes extrêmes de la philosophie de l'identité. En effet, dans son écrit, du reste très important, de 1801-1802, Über das Unternehmen des Kritizismus, die Vernunft zu Verstande zu bringen (Sur un essai du criticisme pour réduire la raison à l'entendement), Jacobi avait accusé Kant de ne pouvoir s'acquitter de la tâche qu'il s'était proposée, parce qu'il en restait à une conception vide et indéterminé de la synthèse a priori. Mais, dans les œuvres postérieures – Von den göttlichen Dingen et la Vorrede, zugleich Einleitung (Préface, ou introduction), et jusqu'aux œuvres publiées en 1815 –, Kant est de plus en plus nettement présenté comme le philosophe qui a conservé un sens authentique de Dieu, de la liberté, de l'immortalité, même s'il n'a pas su en rendre compte par la voie de sa philosophie. Pour Jacobi, Kant a donc doublement raison : lorsque, comme homme, il maintient la foi dans les « choses divines », et lorsqu'il soutient que toute connaissance médiate est construction de son objet ; mais c'est précisément parce qu'il a deux fois raison qu'il se trouve avoir tort : il refuse, en effet, d'unir ces deux affirmations également justes et d'admettre l'existence d'une connaissance immédiate comme condition de toute connaissance médiate.

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Écrit par

  • : dottore in filosofia e professore ordinario di storia della filosofia nell'università di Roma

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